Saint du Jour 21 MAI LE BIENHEUREUX ANDRÉ BOBOLA MARTYR (1592-1667)

La famille nobîe des Bobola était issue de Bohême. Au Xllle siècle, elle passa en Lithuanie et se fixa dans le pala-tinat de Sandomir ; elle s'était illustrée et enrichie, tenait dans le pays un rang des plus considérables, lorsque, en 1592, André vint au monde. Ses parents, très fidèles catholiques, confièrent aux jésuites de Sandomir l'éducation de l'enfant, qui se signalait déjà par ses talents naturels et son angélique inno-cence. Après d'excellentes études, le 31 juillet 1611, André se présentait au noviciat de la Compagnie de Jésus.
Fervent novice, étudiant remarquable, professeur habile qui développait également dans ses élèves l'intelligence et la piété, spécialement la dévotion à la très sainte Vierge, il aborda les études de théologie en 1618 et fut ordonné prêtre le 12 mars 1622, le jour même où l'Église décernait la couronne des Saints à Ignace de Loyola et à François-Xavier.
Dès lors il fut appliqué à la prédication et s'y montra tel, que l'estime publique l'égalait au vénérable Père Lancicius, un des plus saints personnages que la Compagnie de Jésus ait, à cette époque et dans ce pays de Pologne, donnés à l'Église.
C'est à Vilna, en 1624, qu'il débuta dans ce ministère; il y excella tout de suite. « Le salut des âmes, a-t-on écrit de lui, était l'objet continuel de ses prédications. Aux grands et aux petits il était également cher, et avec une affabilité admirable il inspirait à tous ceux qu'il avait attirés dans sa familiarité, la volonté de vivre saintement. » Autour de sa chaire se pressait une foule nombreuse où se coudoyaient des hommes de tous les rangs. Et son confession-nal était assiégé par tous ceux qui aimaient à trouver dans le même homme la science de la direction et une bonté quasi divine. A trois reprises la peste ayant éclaté à Vilna, le Père André se mit au service des malades dans les hôpitaux remplis, les disputant à la mort, assurant leur salut éternel avec un courage et un zèle vraiment héroïques, Enfin, en 1630, nommé supérieur de la résidence de Bobronisk, il se montra le vrai père de ses subordonnés ; ce fut avec tris-tesse qu'ils le virent obtenir par ses instances d'être libéré de sa charge. Dès lors il se consacra à l'apostolat des populations lithuaniennes ; il combattait le schisme grec qui les avait séduites ou les menaçait, avec un succès qui bientôt porta au comble l'irritation des prêtres soi-disant orthodoxes.
Cependant la Pologne tout entière était ravagée par les Kozaks révoltés. Ces bandes pillardes qui habitaient les rives du Dnie-per prétendaient depuis longtemps avoir eu à se plaindre des injustices des Polonais de qui ils dépendaient. Soulevés, ils unirent à leurs griefs politiques leur haine de la foi romaine;
ils avaient fini par se donner au tsar de Moscou. En 1561, ils menaçaient Bobronisk. André échappa à grand'peine à leur fureur sauvage, qui n'épargnait aucune vie, surtout celle des prédicateurs catholiques et des jésuites. Il se réfugia à Pinsk, où le prince Radziwill, grand chancelier de Lithuanie, avait fondé un collège, et qui, couvert par les marais que forme la rivière du Pripet, restait avec ses environs à l'abri des agres-sions ennemies. Mais il le savait, et il le dit, c'était pour rece-voir la palme du martyre qu'il venait dans ce pays.
Il l'évangélisa cependant, six années durant, au milieu de difficultés sans nombre, mais avec la consolation de voir ses fatigues produire des fruits abondants. La haine des schisma-tiques s'en accrut au point que la mort de l'apôtre fut résolue.
On appela les Kozaks à l'aide. Ceux-ci, alliés au roi de Suède, guerroyaient en Pologne. Un beau jour on les vit arriver à Pinsk ; tout de suite ils y organisèrent le massacre. Parmi les victimes se trouvèrent plusieurs jésuites du collège.
A ce moment, le Père Bobola exerçait son zèle à lanoff, ville voisine de Pinsk. Le 16 mai, il était au petit village de Perez-dyle, à quelques milles de Ianoff. Les Kozaks, prévenus, s'y rendirent en hâte. Tandis que les uns commençaient à massa-crer les habitants, d'autres s'élancèrent à la recherche du Père.
Lui, cependant, averti et presque contraint par les habitants, était monté en voiture pour échapper à la poursuite. Or il arriva, par la permission de Dieu, que, tout au contraire, il rencontra la bande près de la ferme de Mohilno. A cette vue, le cocher épouvanté saute de son siège et se jette dans la forêt voisine. Le Père descend de voiture ; calme, heureux de la couronne qui se prépare, il s'agenouille sur la route. « Que votre volonté soit faite, ô mon Dieu ! > • répète-t-il.
Les Kozaks l'ont aperçu ; ils foncent sur lui au galop ; ils l'entourent, ils le somment de renoncer à sa foi, d'embrasser le schisme. C'est en vain. Alors la colère de ces sauvages s'en-flamme ; ils saisissent le Père, le dépouillent de ses vêtements, rattachent à un arbre et le flagellent. Et puis, n'obtenant rien, ils prennent des branches de chêne tendres et flexibles ; ils les trempent dans l'eau, les enlacent, les tordent en couronne ; ils en enserrent la tête du martyr; en séchant, elles l'étreignent à la briser ; ils les tordent encore pour augmenter la souffrance, prenant garde de ne pas rompre les os du crâne. Ainsi flagellé, couronné, André commençait à ressembler étrangement à son maître Jésus.
Mais il fallait montrer leur proie aux camarades. « A Ianoff ! » crient les bourreaux. Ils attachent la victime par une corde aux selles de deux chevaux ; ils partent, l'entraînant avec vio-lence. Deux d'entre eux se portent derrière ; armés d'une hache, ils activent la marche du Père, que la douleur ralentit. Deux blessures ensanglantent le bras gauche; une autre atteint le bras droit.
Enfin épuisé, dévêtu, couvert de sang, la tête serrée dans sa couronne, André faisait son entrée sur la place d'Ianoff, au milieu des cris : « Le ravisseur des âmes 1 Bobola I Bobola 1 — Qui es-tu? lui crie Assavoula, le chef des Kozaks. Es-tu prêtre latin? — Je * e s u*s- — Chien, renonce à ta foi, ou je te l'arracherai avec le cœur 1 — Ma foi ! c'est la vraie ! Je suis né dans cette foi, j'y veux mourir. Et puissiez-vous l'embrasser aussi pour sauver vos âmes ! » Alors, transporté de fureur, le Kozak brandit son sabre et l'abat sur le Père, qui d'instinct lève le bras, pare le coup ; mais celui-ci frappe la main, qu'il sépare presque. Un second coup. Le martyr était tombé ; le sabre l'atteint au pied gauche et l'entame profondément.
Baigné dans son sang, André se taisait; mais son.regard se portait vers le ciel, doux et suppliant. Un Kozak crut y voir l'appel à la vengeance de Dieu ; de la pointe de son sabre, il crève un des yeux.
Ce n'était que le commencement des horreurs. « Jamais peut-être, dit le bref de béatification, un aussi cruel martyre n'a été soumis au jugement de cette congrégation. » Tandis que les bourreaux cherchaient à imaginer de nouveaux supplices, une idée diabolique traversa leur esprit : au milieu de la place publique, une maison s'élevait, une boucherie, qui leur fournirait d'autres instruments de torture. Ils y traînent le martyr par une jambe avec des secousses qui la désarticulent et disloquent l'épine vertébrale ; ils vont maintenant le traiter « comme on traite un pourceau », le flamber ! Ils retendent sur une table, allument des torches de bois résineux, les promènent de toutes parts sur le misérable corps : « Renonce à la foi catho-lique ! criaient-ils. — Non, non ! Je meurs volontiers pour elle, comme ont fait les apôtres et les martyrs ! » A cette profession vaillante, les coups répondent avec les blasphèmes : assénés sur le visage, ils font sauter deux dents, mais ne contraignent pas le martyr au silence. Assez de flammes. On le retourne. A la vue de sa tonsure : « Elle n'est pas assez grande ! » crient les assassins. Avec un couteau, on décrit sur la tête un large cercle ;
on soulève la peau, on l'arrache, découvrant les os du crâne ;
on saisit les mains qui avaient reçu l'onction sacerdotale, on les racle, on en retourne la peau, comme un gant. « Maintenant, il faut lui faire une chasuble ! » Et des épaules jusqu'aux cuisses on découpe des lambeaux qui sont arrachés avec la chair et dessinent l'ornement sacré par les plaies et le sang. C'est encore trop peu. Sur l'immense blessure, on répand de la paille d'orge finement hachée, pour qu'elle entre mieux ; le pauvre corps, de nouveau retourné brutalement, est fortement pressé et frotté sur la table. Parmi les hurlements de joie féroce, les spectateurs cachés et tremblants entendaient la voix du martvr : « Jésus !
Marie ! Mes enfants, mes chers enfants, que faites-vous? Con-vertissez-vous ! faites pénitence ! » Il faut le faire taire ! Les bourreaux lui coupent les lèvres, le nez. « C'est un monstre !
Ajoutons-lui des griffes ! » Et sous les ongles des piecls et des mains ils lui enfoncent des éclats de bois.
Après une autre mutilation plus atroce encore, la rage s'exal-tant toujours, ils décident de lui arracher la langue. Par un large trou, derrière la tête, ils plongent les doigts, ils saisissent cette langue éloquente d'apôtre, la tirent violemment, la dé-chirent et la jettent, méprisants, sur le sol. Enfin ils prennent ce mourant, ce corps tout pantelant, presque sans vie, et le suspendent par les pieds au plafond. Alors, tandis que le martyr palpite, secoué de trépidations convulsives : « Voyez ! disent-ils en riant, voyez ce Polonais, ce jésuite, comme il danse ! » Ils le laissèrent là. Quelques habitants vinrent le voir, avec horreur, avec pitié, avec vénération. « Le sang, dit l'un, ruisse-lait de sa tête, de ses mains, de ses pieds, de tout son corps, comme d'un bœuf qu'on vient d'abattre. » Un chef de Kozaks entra, lui aussi. Il vit que le martyr anhé-lait encore ; il le fit achever de deux coups de sabre sur la gorge, et on le jeta sur un fumier. Mais une grande clarté céleste envi-ronna le saint corps, et les Kozaks s'enfuirent.
Les habitants d'Ianofî, qui s'étaient presque tous dispersés, revinrent peu à peu pour reconnaître et ensevelir leurs morts.
A la vue de la dépouille d'André Bobola, affreusement mutilée :
« Ils ont tué le saint prêtre ! » disaient-ils en pleurant. Placée •dans l'église, elle y fut pieusement vénérée, jusqu'à ce que les jésuites de Pinsk l'eussent réclamée, transportée, comme dans un triomphe, à leur résidence, et déposée dans leur caveau.
En 1702, comme les Kozaks, envahissant de nouveau la Lithuanie, menaçaient le collège de Pinsk et que le recteur, à bout d'espérance, se demandait à quel Saint il ferait appel, dans la nuit du 19 avril, un religieux de la Compagnie de Jésus lui apparut et lui dit : « Pourquoi ne pas vous adresser à moi?
Je suis le Père André Bobola, qu'ils ont tué en haine de la foi.
Cherchez mon corps ; je serai votre protecteur. » On cher-cha, et non sans peine on trouva : parmi les autres corps réduits en poussière, celui de Bobola apparut, seul intact dans la bière corrompue, sillonné encore de blessures fraîches, arrosé d'un sang vermeil ; les chairs étaient molles et flexibles ; une odeur suave s'en exhalait.
Le procès de béatification s'ouvrit bientôt ; mais les malheurs de la Compagnie de Jésus en entravèrent l'issue ; ce n'est que le 30 octobre 1853 que furent accordés à André Bobola les hon-neurs dus aux martvrs de la foi.