Arthur De la Baure
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La marque de la vraie Religion, la condition du salut!

"Marque de la vraie religion
Mon père, dira quelqu’un d’entre vous, je suis sensible et reconnaissant, j’aime beaucoup mes amis, mais je ne puis souffrir qu’on me fasse le moindre tort. Mais, mon cher frère, ce que vous dites là, les barbares de l’Orient le disent aussi. Nonne ethnici hoc faciunt ? (Matth. V. 47.). Vouloir du bien à qui vous fait du bien, c’est une chose toute naturelle ; non-seulement les peuples sauvages le pratiquent ainsi, mais les bêtes féroces elle-mêmes, se montrent sensibles aux bienfaits. Ego autem dico vobis : Diligite inimicos vestros. Voyez, dit Jésus-Christ, quelle est la loi que je vous propose de suivre ; c’est une loi toute d’amour ; je veux que vous aimiez vos ennemis. Benefacite eis qui oderunt vos ; que vous fassiez du bien à ceux qui vous haïssent. Et orate pro persequentibus vos, que vous priiez pour ceux qui vous poursuivent, si vous ne pouvez faire autre chose ; de cette manière vous serez véritablement le fils de Dieu. Ut sitis filii patris vestri qui in coelis est. (Matth. Ibid.). Saint Augustin a donc raison de dire que l’amour seul fait reconnaître les fils de Dieu et les distingue des fils du démon. Sola dilectio discernit inter lilios Dei et filios daiboli. Ainsi ont fait les saints, ils ont aimé leurs ennemis. Une femme avait calomnié sur ses mœurs Sainte Catherine de Sienne ; elle tomba dangereusement malade ; la Sainte alla remplir auprès d’elle les fonctions de domestiques. Saint Acaje vendit ses habits pour secourir un homme qui avait voulu lui ravir la réputation. Saint Ambroise assigna une pension à un assassin qui avait attenté à sa vie, pour qu’il pût vivre commodément. Voilà ceux qui véritablement pouvaient s’appeler fils de Dieu. C’est une étrange chose, dit Saint Thomas de Villeneuve ; combien de fois aurons-nous reçu quelque déplaisir de la part d’un homme ? un ami s’interpose, et nous pardonnons. Dieu nous ordonne de pardonner, et nous ne voulons pas obéir.

Condition de notre salut
Celui-là peut seulement espérer le pardon, qui l’accorde lui-même à ses ennemis ; il a la promesse formelle de Dieu : Dimittite et dimittemini (Luc. VI. 37.). Dimmittendo aliis, disait Saint Chrysostôme : Veniam tibi dedisti. Mais celui qui veut se venger des autres, peut-il prétendre par lui-même au pardon de ses fautes ? il ne peut réciter l’oraison dominicale sans se condamner lui-même : Seigneur, pardonnez-moi comme je pardonne à mes ennemis ; or il veut se venger de ses ennemis, c’est donc comme il disait à Dieu : Seigneur, ne me pardonnez pas, parce que je ne veux point pardonner. Tu in temetipsum fers sententiam. Tu prononces toi-même ta sentence, disait Saint Jean Chrysostôme, tu peux bien t’attendre à être jugé sans miséricorde, puisque tu ne veux pas en avoir pour ton prochain. Judicium eum sine misericordia illi qui non fecerit misericordiam. (Jac. II. 3.). Osera-t-il demander à Dieu le pardon de ses fautes celui qui ne pardonne pas à son ennemi comme Dieu le lui ordonne ? Quâ fronte indulgentiam peccatorum obtinere poterit qui proecipienti dare veniam non acquiescerit ? Ainsi, mon cher frère, si vous prétendez vous venger, vous pouvez d’avance renoncer au paradis. Foris canes. (Apoc. XXII. 15.). Les chiens, à cause de leur naturel, sont regardés comme le symbole des vindicatifs ; ces chiens, avides de vengeance, sont repoussés du paradis : ils ont un enfer dans ce monde, ils en trouvent un dans l’autre. L’homme haineux, dit Saint J. Chrysostôme, n’a jamais de paix ; sa vie est un orage. Qui inimicum habel, numquam fruitur pace ; perpetuo oestruat. (Homil. 22.).
Mais, direz-vous, cet homme m’a ôté l’honneur : honorem meum nemini dabo. Voilà la belle sentence qu’ont toujours à la bouche ces chiens infernaux qui veulent se venger ; il m’a ôté l’honneur, je veux lui ôter la vie. Vous voulez lui ôter la vie ! Etes-vous donc le maître de la vie d’un homme ? Dieu seul en est le maître : Tu es Domine, qui vitoe et mortis habes potestatem. (Sap. XVI. 23.). La vengeance n’est permise qu’à Dieu : Mea est ultio, et ego retribuam in tempore. (Deut. XXXII. 35.). Mais quel autre remède, dites-vous encore, pour mon honneur outragé ? Comment ? Pour votre honneur vous voulez donc fouler aux pieds l’honneur de Dieu ? Ne savez-vous pas, dit Saint Paul, que lorsque vous agissez contre la loi de Dieu, vous déshonorez Dieu : Per proevaricationem legis Deum inhonoras. (Rom. II. 13.). De quel honneur parlez-vous ? Est-ce de l’honneur d’un sauvage, d’un idolâtre ? L’honneur d’un chrétien est d’obéir à Dieu et d’observer sa loi. Mais les autres me regardent comme un homme vil ; dites-moi, vous dit Saint Bernard, si votre maison allait s’écrouler sur vous, manqueriez-vous de fuir parce que les autres vous tiendraient pour poltron ? Et pour ne pas encourir le blâme des autres, vous voulez vous-même vous condamner aux peines de l’enfer. Si vous pardonnez, les gens de bien vous loueront. Voulez-vous dignement vous venger, dit Saint J. Chrysostôme, faites du bien à votre ennemi : Beneficiis eum affice et ultus es. (Hom. XX. 6.). Car alors c’est de votre ennemi, non de vous qu’on pensera mal. Il n’est point vrai d’ailleurs q’un homme perde l’honneur, parce qu’après avoir reçu une injure, il dira : je suis chrétien, je ne puis ni ne dois me venger. Assurément, il ne perdra point l’honneur, et il sauvera son âme. Celui qui se venge sera châtié de Dieu non-seulement dans l’autre vie, mais encore dans celle-ci. Qu’il parvienne à se soustraire à la justice des hommes, cela se peut ; mais quelle vie que la sienne ! toujours obliger de fuir ou de se cacher, poursuivi par la crainte ou par la vengeance même des parents de la victime, et plus encore par les remords, privé de la grâce divine, condamné aux peines de l’enfer, aura-t-il un seul instant de repos et de bonheur ? Et remarquez bien, mes auditeurs, que le désir de la vengeance est un pêché aussi grave, que la vengeance même. S’il nous arrive donc de recevoir une injure, qu’avons-nous à faire ? Au moment même où l’injure a le plus excité notre ressentiment, ayons recours à Dieu et à la Sainte Vierge, prions-les de nous aider, de nous donner la force de pardonner ; écrions-nous : Seigneur, je pardonne par l’amour de vous l’offense qui m’a été faite ; daignez me pardonner celles que vous avez reçues de moi.( Saint Alphonse de Liguori, les 4 portes de l'enfer)"