Mgr Schneider : "Le pape Pie X n'a pas toujours été assez vigilant dans le choix des candidats au cardinalat."

LifeSite : Quel était le motif de la publication de Fuir l'hérésie ?

Mgr Athanasius Schneider (AS) :
Nous traversons aujourd’hui une crise dans l’Église, dans laquelle toute personne intellectuellement honnête peut constater qu’il existe une anarchie doctrinale, morale et liturgique presque totale, une situation que l’on peut décrire comme un réservoir d’hérésies, de contradictions, de sophismes et d’acrobaties mentales. Quand quelqu’un de nos jours se lève dans l’Église pour défendre une vérité traditionnelle de la foi et sa validité durable, on lui dit : « Tu as raison ! » Et quand quelqu’un d’autre dans l’Église nie cette même vérité ou la relativise, on lui dit : « Toi aussi tu as raison ! » Et quand une troisième personne fait alors la remarque logiquement correcte : « Je ne comprends pas cela : comment se fait-il que l’Église confesse la vérité et en même temps permette aux gens de nier cette vérité en toute impunité ? » Cette personne reçoit alors cette réponse cynique : « Toi aussi tu as raison ! » Il règne un relativisme impitoyable.

Le modernisme philosophique et théologique, condamné il y a plus de cent ans par le pape Pie X, s'est concrétisé dans toutes ses conséquences dévastatrices dans la vie de l'Eglise de nos jours. De plus, même les plus hautes autorités ecclésiastiques de nos jours promeuvent ce modernisme par diverses déclarations et actes officiels. Un exemple frappant en est le document Fiducia supplicans, qui autorise la bénédiction des couples adultères et sodomites qui cohabitent dans une union publique et objectivement pécheresse. Et, dans tout cela, des responsables du Saint-Siège tentent de faire croire que, malgré l'expression « bénédiction d'un couple », on ne bénit pas une relation mais les deux personnes qui constituent ce couple, défiant ainsi la logique, outrageant la raison et trompant l'Eglise et le monde entier.

Les mots suivants, par lesquels le pape Pie X a caractérisé le modernisme, sont d’une grande actualité : « Nous devons le définir comme la synthèse de toutes les hérésies. Si l’on s’efforçait de rassembler toutes les erreurs qui ont été commises contre la foi et d’en concentrer la sève et la substance en une seule, on ne pourrait pas mieux réussir que les modernistes. Ils ont même fait plus que cela, car, comme nous l’avons déjà indiqué, leur système signifie la destruction non seulement de la religion catholique, mais de toute religion. Les rationalistes les applaudissent à juste titre, car les rationalistes les plus sincères et les plus francs accueillent chaleureusement les modernistes comme leurs plus précieux alliés » (Encyclique Pascendi du 8 septembre 1907).

LSN : Pourquoi Dieu permet-il parfois à l’hérésie de prospérer dans l’Église ?

AS :
Saint Paul a écrit ces paroles énigmatiques : « Il faut aussi qu’il y ait des hérésies, afin que ceux qui sont approuvés soient aussi manifestés parmi vous » (1 Co 11, 19). Saint Augustin dit que Dieu est si bon qu’il ne permettrait pas le mal sous aucune forme, à moins qu’il ne soit assez puissant pour tirer de chaque mal quelque bien (cf. Enchiridion , 11). Par les hérésies, les chrétiens bons et fermes se manifestent également, et leur foi se distingue d’autant plus. Saint Thomas d’Aquin dit que « l’hérétique est celui qui méprise la discipline de la foi transmise par Dieu et suit obstinément sa propre erreur. L’obstination avec laquelle quelqu’un repousse le jugement de l’Église sur les questions qui concernent directement ou indirectement la foi fait de lui un hérétique. Une telle obstination procède de l’orgueil, par lequel une personne préfère ses propres sentiments à l’Église entière » ( Commentaire 1 Co ., n. 627). Et saint Augustin explique encore : « Tandis que l’agitation brûlante des hérétiques soulève des questions sur de nombreux articles de la foi catholique, la nécessité de les défendre nous oblige à les examiner plus précisément, à les comprendre plus clairement et à les proclamer avec plus d’ardeur ; et la question soulevée par un adversaire devient l’occasion d’une instruction » ( La Cité de Dieu, 16 : 2). Les méchants existent dans l’Église, dit saint Augustin, soit pour que les fidèles s’exercent à la patience, soit pour qu’ils progressent en sagesse (voir ibid.).

LSN : Quelles sont les principales hérésies actuelles au sein de l’Église catholique ? Pouvez-vous nous indiquer l’hérésie fondamentale de notre époque ?

AS :
L’hérésie fondamentale de notre époque est le relativisme dans ses caractéristiques hégéliennes. Cela signifie qu’il ne peut pas y avoir de vérité qui soit objectivement vraie en elle-même, toujours et partout. La vérité est en définitive créée par l’homme et par le développement historique. La vérité évolue continuellement, et il peut donc y avoir une coexistence de la vérité et de son contraire, et la contradiction devient finalement une nouvelle synthèse. En dernière analyse, une telle attitude mentale est une révolte contre la réalité et contre Dieu le Créateur, qui est la Vérité.

LSN : Quelles sont les conséquences pratiques de l’hérésie dans l’Église ?

AS :
L'hérésie est comme un poison anesthésiant qui, à petites doses, obscurcit la lumière surnaturelle de la foi, affaiblit considérablement la force morale dans la résistance au péché et aux vices, [et] augmente l'égocentrisme et l'orgueil spirituel, c'est-à-dire détruit la véritable humilité et la sainteté.

LSN : Une corruption intellectuelle est-elle plus difficile à guérir dans l'âme d'un homme qu'une corruption morale ? Ou peut-on souvent penser qu'à la racine d'une hérésie, il y a une corruption/un péché moral initial (comme peut-être chez le roi Henri VIII) ?

AS :
La corruption intellectuelle a pour origine l'orgueil, qui aveugle la plupart du temps l'intellect de l'homme et endurcit sa volonté dans l'obstination et la rébellion. L'intellect conseille et pousse la volonté à accomplir un acte concret. La corruption intellectuelle et la corruption morale sont donc liées et ordonnées l'une à l'autre. L'hérésie est plus directement liée à l'orgueil, tandis que l'immoralité naît souvent de la faiblesse de la volonté et de l'illusion de biens apparents.

Le roi Henri VIII est un exemple historique célèbre de la prédominance des vices sur la vérité. Bien qu'il ait persécuté l'hérésie protestante, sa corruption morale l'a conduit à nier dans la pratique la vérité divine de la primauté papale. La révolution protestante en Europe au XVIe siècle a été presque entièrement menée par des ecclésiastiques moralement corrompus. Dans la plupart des cas, la corruption morale, c'est-à-dire une vie impudique cachée ou publique, a été la cause qui a conduit ces ecclésiastiques à la corruption intellectuelle, car ils ont vu dans les nouvelles théories hérétiques une justification de leur infidélité à leur promesse de célibat (en tant que prêtres) ou au vœu solennel de chasteté (en tant que religieux).

Dans l’Église antique, l’hérésie était considérée comme une violation de la virginité de l’Église. Saint Hégésippe, auteur chrétien du IIe siècle, disait que jusqu’à l’avènement de l’hérésie, l’Église était restée vierge et intacte. Et saint Vincent de Lérins (Ve siècle) affirmait qu’une fois admise la corruption intellectuelle de l’hérésie, « là où autrefois il y avait un sanctuaire de vérité chaste et sans tache, il y aura désormais un bordel d’erreurs impies et basses » ( Commonitorium , chap. 23). Combien ces paroles sont éclairantes et actuelles !

LSN : Comment lutter le plus efficacement possible contre l’hérésie ?

AS :
On peut combattre l’hérésie de manière implicite et indirecte, en montrant la beauté de la vérité, car la beauté est séduisante en elle-même. Mais à cause de la nature humaine blessée, qui est encline au mal, et de l’influence incessante du diable, le menteur et le père du mensonge, ainsi que de ses alliés humains, on doit aussi combattre l’hérésie de manière explicite et directe. L’une des tâches principales de l’Église consiste donc à protéger les hommes du poison de l’hérésie, car l’hérésie a un effet dévastateur, comme celui d’une épidémie. Lutter contre l’hérésie est un acte vraiment noble et désintéressé, une expression d’un amour authentique pour son prochain. Lorsque les papes et les évêques sont négligents et indifférents dans la lutte contre les hérésies, ils ressemblent à un médecin insouciant et inactif face à une épidémie rampante.

LSN : Qu’est-ce qui a mal tourné lorsque le pape Pie X a tenté de combattre l’hérésie du modernisme ? N’a-t-il pas vécu assez longtemps pour l’extirper entièrement ou, comme le disent certains critiques, s’y est-il pris de la mauvaise manière ?

AS :
Le pape Pie X a laissé à l'Eglise l'un des documents les plus importants de l'histoire de l'Eglise, à savoir l'encyclique Pascendi Dominici Gregis , qui contient une magistrale exposition et réfutation du modernisme, réservoir et synthèse de toutes les hérésies. Pendant le pontificat de Pie X, les modernistes sont restés cachés dans leurs trous, et ensuite, ils ont commencé à sortir lentement au moyen de la politique personnelle ecclésiastique.

Certains indices laissent penser que le pape Pie X n'a pas toujours été assez vigilant dans le choix des candidats au cardinalat. La nomination de l'archevêque Giacomo della Chiesa, trois mois seulement avant la mort de Pie X, s'est avérée fatale, car, élève du cardinal Rampolla, réputé libéral, il est devenu, sous le pape Benoît XV, le successeur de Pie X. Ce n'était pas un secret que l'archevêque Giacomo della Chiesa était en désaccord avec la politique intransigeante de Pie X. Sous le pontificat de Benoît XV, le soin et la vigilance nécessaires dans le choix des candidats à l'épiscopat et au cardinalat ont commencé à diminuer et, au cours des pontificats suivants, ont lentement ouvert la voie à la situation du début du concile Vatican II, où la grande majorité de l'épiscopat était déjà infectée de sympathies acritiques pour le libéralisme théologique.

LSN : Pourriez-vous nous parler de quelques figures exemplaires de l’histoire de l’Église qui ont lutté avec succès contre l’hérésie ?

AS :
Le premier combattant intransigeant contre l’hérésie fut Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, qui a dit : « Celui qui violera l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes de la sorte, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux » (Mt 5, 19). Saint Paul fut une figure exemplaire dans la lutte contre l’hérésie, par exemple : « Un homme qui est hérétique, évite-le après le premier et le second avertissement, sachant qu’un tel homme est perverti et pèche, étant condamné par son propre jugement » (Tit 3, 10-11), et : « Reprends-les sévèrement, afin qu’ils soient sains dans la foi » (Tit 1, 13). L’apôtre saint Jean, le disciple bien-aimé, était implacable contre l’hérésie, par exemple : « Si quelqu’un vient à vous et n’apporte pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison et ne le saluez pas. « Car quiconque le salue participe à ses mauvaises œuvres » (2 Jean 10-11).

Les disciples de l’apôtre Jean, saint Polycarpe de Smyrne et saint Irénée de Lyon, ont hérité de lui la résistance audacieuse contre l’hérésie et les hérétiques. Saint Polycarpe n’avait absolument aucune tolérance pour les hérétiques. Un jour, il rencontra à Rome l’hérétique Marcion, qui lui demanda s’il savait qui il était. Saint Polycarpe répondit : « Oui, je sais que tu es le premier-né de Satan » (cf. Eus. He 4, 14). Avec son chef-d’œuvre immortel « Contre toutes les hérésies » ( Adversus haereses ), saint Irénée de Lyon rendit un grand service à l’Église en sonnant l’alarme concernant l’infiltration des hérétiques dans la vie de l’Église au IIe siècle. Saint Ignace d’Antioche, disciple de l’apôtre, qui était évêque au Ier siècle, avertissait souvent les fidèles par ces mots : « Fuyez ces hérésies impies ; car ce sont les inventions du diable » ( Ad Trall ., 10). J'ai pris ces mots comme titre de mon livre.

Les grands saints furent tous des combattants résolus contre les hérésies. L’un des plus célèbres et des plus méritants d’entre eux fut saint Athanase, dont on dit que, lorsqu’on lui apprit que le monde entier était contre lui à cause de sa conception de la pleine divinité du Christ, il répondit : « Alors je suis contre le monde. » C’est de là que vient l’expression « Athanase contra mundum ». Toute la vie sacerdotale et épiscopale de saint Augustin fut remplie d’une lutte acharnée contre le schisme (donatisme) et l’hérésie (manichéisme, pélagianisme). Saint François de Sales, connu comme le saint de la douceur, le « saint gentilhomme », fut un combattant distingué contre les hérésies. Le pape Pie XI a écrit à propos de saint François : « Il semblait avoir été envoyé spécialement par Dieu pour lutter contre les hérésies engendrées par la Réforme. » « C’est dans ces hérésies que nous découvrons les prémices de cette apostasie de l’humanité vis-à-vis de l’Église, dont les effets tristes et désastreux sont déplorés, jusqu’à l’heure actuelle, par tout esprit juste » (Encyclique Rerum omnium perturbationem, 26 janvier 1923).

Bishop Schneider: Modernism condemned by Pius X 'has been realized in all its devastating consequences' - LifeSite