Les chrétiens et les musulmans ont-ils le même Dieu ?

Un sujet qui suscite beaucoup d'intérêt et en même temps d'aversion chez les "traditionalistes" en rupture avec l'Église est celui du dialogue entre les "religions". Une des " bombes" pour refuser Vatican II en montrant sa soi-disante heterodoxie est cette affirmation du concile selon laquelle les musulmans adorent le Dieu Unique.

En effet nous lisons dans la Constitution Lumen Gentium sur l’Eglise §16, Vatican II :
"Mais le dessein de salut englobe aussi ceux qui reconnaissent le Créateur, et parmi eux, d’abord, les Musulmans qui, en déclarant qu’ils gardent la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, qui jugera les hommes au dernier jour. "

Dans Nostra Aetate, Vatican II :
"L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. "

Repris par exemple par Jean-Paul II, à Casablanca, en 1985:

“Chrétiens et musulmans, nous avons beaucoup de choses en commun, comme croyants et comme hommes. Nous vivons dans le même monde, marqué de nombreux signes d’espérance, mais aussi par de multiples signes d’angoisse. Nous croyons au même Dieu, le Dieu Unique, le Dieu Vivant, le Dieu qui crée les mondes et porte ses créatures à leur perfection. […] Je crois que nous, chrétiens et musulmans, nous devons reconnaître avec joie les valeurs religieuses que nous avons en commun et en rendre grâce à Dieu.”

Cela serait proprement inacceptable et formellement en rupture avec la Tradition voire la Révélation. Nous allons comprendre que cela est faux et qu'il s'agit plutôt d'une déformation de la pensée pour servir de justification au rejet d'un concile d'Eglise comme de la hiérarchie légitime qui l'a promulgué, entériné et qui encore aujourd'hui le professe.

Affirmation de la dissidence, un melange de vrai et de faux
Nous suivrons la pensée de l'Abbé Castel, membre respecté de la FSSPX. Son argumentation est la même pour tous les dissidents, les thèses de la fsspx étant à la racine de presque tous les groupuscules traditionalistes coupés de l'Eglise. Dans son article" nous n'avons pas le même Dieu" l'abbé Castel commence par ceci: "Les formules
de foi catholiques, musulmanes et juives expriment des dogmes irréconciliables."

Cela est tout à fait correct, l'Église postconciliaire l'affirme bien évidemment. Il poursuit : "Il n’y a qu’un catholique conciliaire pour affirmer que tous, musulmans, juifs et chrétiens croient au même Dieu. " Il prend brusquement le ton habituel des prêtres de la dissidence à l'égard des "conciliaires " qui sont considérés avec mepris et associés a l'affirmation qu'il veut miner. Sauf que malheureusement pour lui et les fidèles qui le suivent, la Tradition a toujours dit que les musulmans, juifs et Chrétiens croient au même Dieu. Cependant l'Église pose des distinctions que l'Abbé Castel laisse de côté. Il poursuit :

"Demandez à un musulman ou à un juif s’il croit à la Sainte Trinité, la réponse sera claire : bien sûr que non, il n’y croit pas ! De bonnes âmes ne manqueront pas d’expliquer que je pose mal le sujet ; qu’il faut se contenter d’évoquer un « Dieu créateur et rémunérateur », formule assez vague pour mettre tout le monde d’accord. Je ne puis m’y résoudre."

L'abbé Castel brandit tout de suite la sainte Trinité alors que la doctrine conciliaire parle uniquement du Dieu créateur et rémunérateur, que l'Abbé ne manque pas de relever en avouant qu'il pose mal le sujet, ce qui est effectivement le cas. Il prétexte que la formule est vague malgré que nous la trouvions parfaitement claire et finit par enfin se dévoiler avec un magnifique :"Je ne puis m’y résoudre". C'est bien cela le problème des sede-lefebristes, ils ne peuvent se resoudre à ecouter le magistère et a constater qu'il n'y a pas de rupture entre Vatican II et la Tradition. Les sede-lefebristes préfèrent leurs propres analyses faillibles.
Plus loin il revient à la vérité et confesse:

"Ces trois religions ont en commun de croire qu’il y a un Dieu créateur et rémunérateur – ce qui finalement peut se démontrer par la raison. Mais là s’arrête le rapprochement."

Oui le rapprochement s'arrête ici et c'est ici que le concile s'arrête aussi mais pas les dissidents. L'abbé s'empresse d'ajouter : "Dès que l’on veut pousser plus loin la comparaison, on se trouve confronté à des affirmations contradictoires et irréconciliables. "

Voilà tout le problème et le tour de passe-passe pour faire croire à une affirmation hétérodoxe du concile. On va un peu plus loin, on fait dire ce que le concile ne dit pas, on mélange du vrai et du faux.

Arretons nous là, le procédé rethorique est suffisamment mis en évidence pour montrer l'erreur d'interprétation des " traditionalistes ". Passons a l'explication de l'affirmation selon laquelle dans Nostra Aetate, Vatican II :
"L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique

ou de Jean-Paul II, à Casablanca, en 1985:

“Chrétiens et musulmans, nous avons beaucoup de choses en commun, comme croyants et comme hommes. Nous vivons dans le même monde, marqué de nombreux signes d’espérance, mais aussi par de multiples signes d’angoisse. Nous croyons au même Dieu, le Dieu Unique, le Dieu Vivant, le Dieu qui crée les mondes(...)

Une juste compréhension

je me contenterai de citez le Père Valuet :

"Lorsqu’on dit que les musulmans (ou les juifs) « ont le même Dieu que les chrétiens », on peut l’entendre en deux grands sens différents :

1 ) quant à la domination effective de Dieu sur tous, et là, évidemment, comme les pierres, les arbres, les animaux, et les hommes de toute religion, il n’y a objectivement qu’un seul Dieu pour tout le monde : cette signification n’est pas en cause ;

2) quant aux affirmations et attitudes des hommes portant sur ce Dieu, on peut comprendre la phrase de 3 façons :

a) quant au quid, à la réalité désignée, à la substance dont il s’agit, les juifs et les musulmans parlent bien de la même réalité que nous : ce point n’a jamais été mis en cause dans l’histoire de la théologie ; il suffit pour s’en convaincre de consulter les discussions des chrétiens avec les juifs, et les musulmans à travers les siècles, ainsi que les assertions des théologiens sur le falsus cultus veri numinis, le faux culte rendu au vrai Dieu. Les mêmes idées se retrouvent par exemple dans nos anciens catéchismes diocésains.

b)
Quant au quis, c’est-à-dire à la personnalité de Dieu, il est évident que les musulmans nient que cette réalité créatrice de l’univers soit tri-personnelle. En ce sens « ils n’ont pas le même Dieu », c’est-à-dire quant à ce qu’ils affirment de Lui.

Évidemment, il ne s’agit nullement d’une question mineure, mais cet aspect ne remet pas en cause le 1er sens (a), au contraire de ce que cherche à démontrer un sophisme mis en avant par certains, et que voici : « Jésus est Dieu. Or les juifs (ou les musulmans) n’adorent pas Jésus. Donc les juifs (ou les musulmans) n’adorent pas Dieu. » Ce prétendu syllogisme pèche contre une règle fondamentale, à savoir que le mot « Dieu », étant prédicat d’une affirmative dans la majeure, y est pris particulièrement (« Jésus est Dieu le Fils »), tandis que dans la conclusion, il est prédicat d’une négative, et donc pris universellement (« n’adorent pas Dieu, en aucune façon »). Or, c’est une règle fondamentale qu’on n’a pas le droit d’amplifier les termes d’un raisonnement en passant d’une prémisse à la conclusion. Certes les juifs et les musulmans n’adorent pas Dieu le Fils dans sa distinction d’avec le Père, mais ils adorent bien cette réalité qu’est la substance divine, réellement identique et au Père, et au Fils et au Saint-Esprit. Et il est donc faux de dire qu’ils n’adorent pas Dieu.

c)
Quant au qualis, c’est-à-dire quant aux attributs divins (sifât) et quant aux œuvres divines dans le monde : il est évident que les assertions ne sont que partiellement concordantes entre les chrétiens d’une part, et les musulmans d’autre part. Or, dans ce sens « le même Dieu » signifie « à qui on attribue les mêmes prédicats, les mêmes qualités, les mêmes actions. » Et, sous cet aspect, puisqu’il existe une divergence, partielle, mais considérable, entre les non-chrétiens monothéistes et nous, on ne peut pas non plus dire purement et simplement « ils ont le même Dieu. »

En tout cas, c’est dans le sens « a », sens plus fondamental, que le magistère prend l’expression. Il n’y a donc rien à y redire, à condition de ne pas y englober les sens b et c, ni de négliger la portée de ces sens. Le point de vue selon lequel les musulmans n’ont absolument pas le même Dieu que nous a l’utilité de nous rappeler combien sont importantes les divergences, ce qui est particulièrement actuel, vu la préoccupation excessive de certains de les estomper sous prétexte de sérénité. Toutefois il est excessif, en ce qu’il ne tient pas suffisamment compte de la possibilité d’une approche naturelle de Dieu par l’intelligence et la volonté. Cette approche atteint chez tous les interlocuteurs une substance identique, malgré des désaccords (capitaux, bien sûr) sur les suppôts ou hypostases, les personnes qui subsistent en cette substance unique, et sur les prédicats qu’on peut lui attribuer : on peut ainsi s’entendre sur le quid, la réalité en question, en divergeant sur le quis (qui est Dieu : les Trois Personnes) et sur le quomodo, le qualis (les attributs).( Père Valuet)

Les documents du concile et les divers enseignements des Papes s'appuie sur le" quid", c'est à dire la réalité désignée, le Dieu créateur et rémunérateur.

Or la dissidence ,comme nous l'avons vu avec l'Abbé Castel, brouille les pistes, omet de faire les distinctions, et par conséquence trompe les fidèles dans la conclusion. Mais finalement est-ce que ces affirmations conciliaires sont nouvelles?

Qu'est que dit la théologie et le magistère preconciliaire?

Contentons-nous de quelques citations faisant autorité :

Le théologien de la Contre-Réforme, Suàrez Francisco, s.j. (1548-1617), Tractatus de fide theologica, commentant un texte de saint Thomas (II-II, q. 10, a. 11 : « Utrum tolerandi sint ritus infidelium in regnis fidelium »), in Opera omnia, Paris, Vivès, t. XII (1858), n° 9-10, p. 451-452 : « Et cette raison est probante en général pour le cas des Sarrasins, et des autres infidèles connaissant et vénérant le seul et unique vrai Dieu, quant aux rites non contraires à la raison naturelle. » Ce théologien ajoute qu’il s’agit là d’une « certa res », indiscutée à son époque.

Le théologien Dom Guéranger:
« […] l’islamisme accomplissant une autre mission de justice; mais cette fois, c’est contre le polythéisme et l’idolâtrie. En dépit de lui-même, Satan devra descendre de plus d’un autel, car le Coran proclame l’unité de Dieu, la spiritualité de Dieu, l’horreur pour le culte des idoles. La Perse est réduite par le cimeterre à abjurer son sabéisme, auquel elle a immolé tant de martyrs chrétiens. Ce point de vue, que je ne fais qu’indiquer, s’harmonise avec l’ensemble; car la connaissance du vrai Dieu est un pas vers le christianisme, et la route frayée à travers les débris de l’idolâtrie doit conduire tout homme de bonne volonté. » (« Jésus Christ, Roi de l’histoire », ASJ, 2005, p.97)

Pie XII, s’adressant au représentant musulman du gouvernement Indonésien, reconnaissant en la constitution établie par le président musulman le Dieu Tout Puissant:
« Mr Ministre, à votre première entrée solennelle dans votre haute Mission, en parlant au nom de vos citoyens, vous avez rendu hommage à l’ultime et richissime source de véritable et authentique paix. Dans les principes de base proclamées par votre Etat naissant, dans le « Pantjasila » (constitution), le nom et l’autorité suprême du Tout Puissant prend la première place. Là où la primauté due à Dieu et à Lui seul est reconnue et soutenue, les hommes, les nations, la démocratie et une conscience sociale droite naturellement et avec une harmonie, forte et pleine de fruits, trouvent leur place propre dans la hiérarchie des valeurs » (Catholic News Service, 5 Juin 1950; aussi rapporté dans The Times, Indonesian envoy ot the Holy See, Rome, May 25)

Le Cardinal de Lugo, « un des théologiens les plus importants de l’époque post-tridentine » , en 1646:
« Car parmi eux il y en a qui, bien qu’ils ne croient pas à tous les dogmes de la religion catholique, reconnaissent néanmoins le Dieu un, et véritable [agnoscunt tamen Deum unum, & verum], tels sont les Turcs, et tous les Mahométans, ainsi que les Juifs. » Il affirme même ensuite que leur foi, si associée a l’ignorance invincible, peut être dite surnaturelle car déduite de la révélation chrétienne, chose impossible si leur foi concerne un faux dieu (De virtute fidei divinae, disp. 12, n. 50, Lyon, 1646, volume 3, 286)

Le théologien Pierre le Chantre, sur les chrétiens sans église dans les pays musulmans (XIIe s.):
« Les chrétiens pèchent-ils s’ils adorent avec ceux-là même qui adorent un seul Dieu comme nous, que nous adorons? Réponse: Si cela peut être fait sans scandale, ils ne pèchent pas [Et peccant ne christiani si adorent cum eis cum ipsi adorent unum deum sicut nos et quem nos adoramus? Resp. Si sine scandalo hoc fieri posset non peccarent]
(Cap. V, §219 de Summa de sacramentis et animae consiliis: Texte inédit publié et annoté, Volume 3, Nauwelaerts, p.195)

Mgr Fernando Vellosillo (1567–1587), réfutant l’opinion que les infidèles n’adorent pas vrai Dieu:
« Nous disons que les philosophes naturels, qui n’étaient pas idolâtres, connaissaient le vrai Dieu, & l’adoraient; les sarrasins aussi croient et adorent le vrai Dieu [Deum sarraceni etiam & verum deum credunt & colunt], de même les Juifs: ils se trompent cependant sur quelques articles, davantage en ce qui concerne l’incarnation du Christ. »
(Advertentiae Theologiae Scolasticae in B. Chrysost. et quatuor Doct. Ecclesiae, 1601, p.344)

Le Cardinal Billot, pour la revue jésuite Etudes (1921):
« […] le monde mahométan qui a toujours retenu, soit de la loi mosaïque, soit de l’Evangile même, la croyance au vrai Dieu créateur du ciel et de la terre, comme fondement et base de sa religion. »
(« La providence de Dieu et le nombre infini d’hommes hors de la voie normale du salut » , VI, Etudes n°167, p.260)


L’Abbé Jacques Paul Migne, dans son Encyclopédie théologique:
« ALLAH. Nom de Dieu chez les Arabes. Il faut se garder de le prendre pour le nom d’une divinité particulière, car les Musulmans adorent le vrai Dieu et ont en horreur le culte des idoles. » (Tome 24, p.128)

Le Dictionnaire de Théologie Catholique (Vacant, Mangenot & Amann), 1924:

« Il est vrai que les mahométans, qui croient à l’existence du vrai Dieu, atteignent la même réalité, bien que d’une autre manière, puisqu’ils n’ont pas la vertu théologale de foi. » (Article « Dieu (connaissance naturelle de) »)

Cela suffit amplement, que ceux qui souhaiteraient plus de références me contacte via la page "Marie Terreur des Démons "

Conclusion
Les musulmans adorent et croient au même Dieu que les Chrétiens. Cependant ils n'ont pas la connaissance que nous donne la révélation , le Dieu Trinitaire. Leur Foi n'est pas une Foi théologale mais naturelle et donc confuse et remplie d'erreurs. Pourtant la réalité désignée est bien la même que celle des Chrétiens. Est-ce que cela suffit pour être sauvé ?
Non évidemment. Il faut pour cela avoir la Foi théologale et donc être catholique nonobstant l'ignorance invincible que Dieu seul connaît et qui ne concerne probablement que peu d'hommes et de femmes. Dieu sait. C'est pour cela que le concile nous invite tous a être missionnaire.
Concernant les prêtres dissidents, il serait bon que les fidèles s'affranchissent de leur doxa qui, comme nous l'avons vu ici, n'est pas indemne d'erreurs et de préjugés. Seul le magistère de l'Église enseignante, cum Petro sub petro, est légitime et protégé de l'erreur.

Note
Je tiens à souligner que mes publications n'ont pas pour but la polémique ou la division. Je ne suis ni un troll comme certains le pense( un troll ne passe pas des heures à faire des articles), ni un semeur de zizanie. Ancien sede-lefebriste moi-même, tres actif et tres formaté par la dissidence mais ayant reçu une brusque et inattendue grâce de lumière intellectuelle, je souhaite avec l'aide de Dieu montrer que le pseudo-traditionalisme n'est qu'une illusion du diable. Chacun ensuite en fera ce qu'il veut. Je n'ai aucune haine contre les dissidents( l'inverse est moins sûr), je connais bien leur idéologie, ils sont mes frères et sœurs, ce n'est finalement que le diable diviseur mon ennemi.
Je souhaite a chacun de retrouver la Paix par le retour à la seule Église catholique et une véritable compréhension du concile, loin du progressisme et de sa reaction réflexive, l'integrisme. En cela je soutiens pleinement monsieur Jean Yves Macron. Les commentaires désactivés ne sont ni de la censure, ni une peur de la contradiction, mais le refus d'une polémique souvent agressive et irrespectueuse non exempt de nombreux péchés par manque de Charité et de compréhension mutuelle.
PAIX DANS LE CHRIST.
Marie Terreur des Démons.