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20 FÉVRIER SAINT EUCHER ÉVÊQUE (fin du vue siècle-743)

Saint Eucher naquit à Orléans d'une famille noble et pieuse, à la fin du viu e siècle. Pieuse, car parmi les moniales d'un monastère voisin de cette ville, des sœurs du Saint se vouèrent à Dieu ; et, s'il faut en croire l'auteur de sa vie, qui dit s'appuyer sur le témoignage de celles-ci et d'autres personnages très véri-diques, sa sainteté fut annoncée à sa mère par un ange, quand elle le portait encore dans son sein. Pourtant l'enfant ne fut pas baptisé aussitôt après sa naissance. Pour lui procurer l'honneur de recevoir l'eau régénératrice des mains d'un évêque, ami SAINT EUCHER, ÉVÊQUE 239 de la famille sans doute, on l'envoya, déjà grandelet, à Autun, dont alors Ansbert occupait le siège. Celui-ci conféra à l'enfant le baptême et la confirmation ; il le garda même, semble-t-H, quelque temps auprès de lui. Est-ce là que, à l'âge de sept ans, Eucher commença ses études? Du moins il les continua et les acheva dans sa ville natale avec un très grand succès. Il s'adonna spécialement à l'Écriture sainte et au droit canon. « Comme une source abondante, dit son biographe, remplit en un moment et forme un fleuve, ainsi le torrent de la science coulait en son esprit et remplissait sa mémoire, qui la conservait fidèlement. » Mais le jeune homme n'était pas moins pieux que savant. Il avait lu dans saint Paul que la figure de ce monde passe et que la sagesse du monde n'est que folie devant Dieu Aussi son âme, vite dégoûtée de ces biens passagers et frivoles, s'éle-vant au-dessus des trésors des sciences humaines, ne jugea point digne d'elle de s'y attacher. Seules la contemplation et l'amitié divines lui parurent mériter son amour. Eucher quitta sa famille, sa ville, son pays, et alla s'enfermer dans la célèbre abbaye de Jumièges, aux environs de Rouen.
Ce qu'il y fut, quelles vertus il y cultiva, l'histoire ne nous l'a point dit. Mais nous savons que sa vie fut telle, que la re-nommée s'en répandit au dehors, au point de remplir de fierté et de vénération ses concitoyens. Ils prouvèrent bien leurs sen-timents vers 720. A ce moment Suavaricus, leur évêque, qui était aussi l'oncle d'Eucher, vint à mourir. Et tout de suite les fidèles et le clergé jetèrent, pour le remplacer, les yeux sur le jeune moine son neveu : il n'avait pas encore atteint la tren-taine. Or Charles-Martel, le maire d'Austrasie, en guerre contre la Neustrie, avait battu le roi Chilpéric, conquis son royaume et, lui laissant le vain titre de roi, avait réuni sous sa main toute la monarchie franque. C'est à lui que les habitants d'Or-léans, — était-il alors dans leur ville, où il vint en 719, ou à Angers, qu'il conquit en 721? — s'adressèrent pour confirmer leur choix. L'illustre maire, en effet, gouvernait en maître, en maître rude et plus politique que religieux, l'Église comme l'État. Il agréa la prière. Un des leudes de sa cour fut envoyé à Jumièges pour en tirer le pauvre moine et le conduire à la ville, sa patrie, où il trouverait son calvaire.
Eucher résista autant qu'il le put. « Pourquoi, frères bien-aimés, disait-il en pleurant aux moines de Jumièges, pourquoi laissez-vous envelopper votre brebis dans les filets du monde? » Mais ceux-ci, tout en regrettant l'éloignement de ce jeune homme que leur rendait si cher la grâce dont il était rempli, avaient une sainte joie de voir Dieu choisir parmi eux le pas-teur de son peuple. En le bénissant et l'accompagnant de leurs vœux, ils le conduisirent aux portes de l'abbaye. Un prompt voyage l'amena vers son peuple nouveau, qui l'accueillit avec une extraordinaire allégresse. Une longue procession, dirigée par les évêques voisins, vint à sa rencontre avec des croix, des cierges, des chants ; on le conduisit, au milieu des acclamations, à la cathédrale, et là il reçut la consécration épiscopale. Il sem-blait qu'un règne s'ouvrît plein des plus belles promesses.
Et de fait Eucher gagna tout de suite le cœur de son peuple ;
il avait une bonté souriante, un accueil affable, une activité inlassable, mais paisible et sereine. Tout à tous, il prêchait, visitait les églises et les monastères, embrassait tous les fidèles, et surtout les moines, dans une affection toute cordiale. Aussi « le clergé et le peuple l'environnaient d'un tel amour, que, se donnant à lui, eux et tout ce qu'ils possédaient, ils se soumet-taient à sa direction avec une obéissance pleinement dévouée ».
Mais ces beaux jours ne devaient pas durer. Charles-Martel, qui s'était montré favorable à l'élection d'Eucher, allait se dé-clarer contre lui : uniquement pour s'emparer de ses biens et Jes distribuer en partie à ses avides courtisans, en partie les joindre à ses propres domaines; le biographe d'Eucher semble le dire. Il est probable qu'il fut prévenu contre le Saint, qu'on repré-senta celui-ci comme un ennemi de TAustrasie, un partisan de l'ancien ordre de choses; peut-être aussi Eucher fut-il amené à protester contre les mesures de bannissement, de dépossession, de déchéance, d'exil prises par Charles, au mépris des droits de l'Église, contre nombre de prélats ou d'abbés. La résolution du maire du palais, circonvenu par les ennemis intéressés de l'évêque, était arrêtée déjà, lorsqu'il marcha contre Abdérame et ses musulmans en 732. « Nous avons affaire d'abord, dit-il à ceux qui le sollicitaient de .dépouiller Eucher, à une nation féroce, belliqueuse et puissante ; après, nous verrons. » Vain-queur à cette bataille de Poitiers qui sauva la France et la chrétienté, il ne cacha plus ses mauvaises dispositions. Il reve-nait vers Paris ; en traversant la Loire à Orléans, il refusa de s'arrêter, malgré les fêtes qu'on avait préparées pour le recevoir ;
mais, passant outre, il ordonna à l'évêque de le suivre. Sans doute celui-ci n'ignorait pas ce qui l'attendait ; pourtant, sans hésiter et s'en remettant à Dieu de l'avenir, il crut devoir, selon la parole.de l'Apôtre, obéir aux maîtres temporels comme au Christ lui-même. Il partit, comme il lui avait été ordonné, avec toute sa famille et rejoignit la cour à Verneuil, dans le diocèse de Beau-vais. Charles ne voulut pas le voir; il lui commanda, et à tous ses proches, de se rendre à Cologne. Mais la grâce du Saint, sa piété, sa résignation touchante ne tardèrent pas à lui gagner si bien les cœurs, qu'il retrouvait à Cologne toute l'influence qu'il avait à Orléans. Ses ennemis s'en alarmèrent. Ils firent craindre à Charles que l'évêque ne fomentât quelque révolte, ou peut-être n'en appelât à Rome du traitement qu'il subissait. L'ordre vint donc de le transporter à Hesbaye, au pays de Liège, et de le remettre au pouvoir et à la garde du duc Chrodebert.
Celui-ci, contre toute attente, reçut le Saint avec les marques du plus profond respect ; il lui laissa toute liberté, et même mit à sa disposition d'importantes sommes pour ses aumônes.
Eucher obtint enfin de sa bienveillance de pouvoir, lui et les siens, se retirer à Sarchinium, bourg auprès duquel s'élevait le monastère construit par saint Trond. C'est dans l'église de ce monastère que, pendant six ans d'exil, Eucher se prépara à une mort qui devait dignement couronner sa sainte existence. Dieu le retira à lui en 743, après vingt et un ans d'épiscopat ; il n'avait pas encore cinquante ans.
Son corps vénérable, longtemps uni dans la tombe à celui de son hôte, saint Trond, fut en 1606 rendu en partie à l'église d'Orléans, qui l'a reçu et le conserve avec honneur.