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18 FÉVRIER - SAINT SYMÉON ÉVÊQUE ET MARTYR (?-107)

L'an 62 de l'ère chrétienne, les Juifs assemblés tumultuaire-ment s'étaient saisis de l'évêque de Jérusalem, Jacques, qu'on appelait le frère du Seigneur ; ils l'avaient précipité du haut du Temple, lapidé, enfin assommé. Un homme courageusement se leva pour leur reprocher leur crime ; avec vigueur il flétrit leur cruauté. Pourtant il avait grandement sujet de la redouter pour lui-même, car il était le propre frère de la victime. Mais Dieu détourna de lui la fureur des bourreaux.
Il s'appelait Syméon ou Simon. C'est par ce dernier nom que le désigne saint Matthieu, quand il rapporte les propos des Nazaréens au sujet de Jésus : D'où viennent à celui-ci, disaient-ils, tant de sagesse et de puissance miraculeuse? N'est-il pas le fils du charpentier? Sa mère ne s'appelle-l-elle pas Marie? et ses frères, Jacques, Josès, Simon et Jude?
Frères, on désignait, on désigne encore, en Orient, par ce mot les cousins. De fait, Simon était cousin de Jésus. Les uns ont cru que son père, Alphée, dit aussi Clopas, était le frère de saint Joseph. D'autres, plus exactement peut-être, établissent autre-ment la parenté. Ils font Syméon et ses frères fils de cette Marie que l'Évangile de saint Jean montre à côté de la Sainte Vierge au Calvaire, et qu'il appelle sa sœur : Siabant auiem fuxta crucem Jesu Mater ejus et soror maftis ejus Maria Cleophae (Jo. 19 Sœur ou cousine ? En tout cas, elle fut du nombre de ces pieuses femmes qui, selon l'Évangile, s'attachèrent à Jésus pendant les années de sa prédication, l'aidèrent de leurs biens, assistèrent à sa passion. Et sa foi, son dévouement agirent sur ses fils au point qu'ils se livrèrent tout entiers au Sauveur. Il est vrai, Syméon, non plus que Josès, ne fit pas partie du collège apostolique. Et même-ne serait-ce pas d'eux que saint Jean dit qu'au mois de septembre 783, les frères de Jésus ne croyaient pas encore en lui (vu, 2) ? Mais enfin la résis-tance de leur esprit, — si elle exista, — fut vaincue. Les deux frères, conquis à l'œuvre que servaient déjà Jacques et Jude, prirent leur place parmi les fidèles. On ne saurait douter qu'ils ne se trouvassent au Cénacle le jour de la Pentecôte, pour y recevoir l'effusion du Saint-Esprit.
Syméon, comme ses frères et notamment Jacques, le premier évêque de Jérusalem, était du fond de l'âme attaché à la Loi et aux observances judaïques. Il n'est pas étonnant qu'il se soit particulièrement dévoué à l'Église qui se constitua dans la Ville sainte et qu'il ait d'abord partagé, vis-à-vis des gentils et de leur admission à la foi, les répugnances instinctives contre lesquelles se prononça le concile de Jérusalem. On croit même que, du vivant de Jacques, il participa au gouvernement de son Église. Aussi, peu de temps après le martyre de celui-ci, le conseil apostolique s'étant réuni pour lui donner un successeur, tous d'une même voix choisirent Syméon comme le plus digne de cet écrasant honneur et lui imposèrent les mains.
Imbu des mêmes idées que son prédécesseur, il administra son Église avec le même zèle et le même dévouement. L'occa-sion se présenta bientôt de la sauver du dernier désastre. Les séditions continuelles des Juifs, provoquées du reste par la tyrannie et les exactions des procurateurs, avaient enfin mis le comble à la colère des Romains ; ils se décidèrent à profiter de la première occasion pour tirer d'eux une vengeance terrible.
Au printemps de 66, Gessius Florus, le procurateur, vint à Jérusalem. L'occasion cherchée, il semble bien qu'il fût décidé à la faire naître. Il réussit à pousser le peuple à bout ; une ré-volte générale éclata, et tout de suite il fut évident que les Romains mèneraient la répression jusqu'à l'anéantissement de la nation. Les chrétiens n'avaient pas oublié les nombreuses prédictions du Sauveur sur la ruine de la Ville sainte, ni l'ordre qu'il leur avait donné de fuir avant ce jour de désolation. Aussi bien Dieu veillait sur ses élus : un avertissement céleste était venu presser quelques-uns des plus saints d'entre eux, et pro-bablement Syméon lui-même. Sans perdre de temps, « sans des-cendre du toit pour rien prendre dans la maison, sans revenir des champs pour endosser un vêlement, » ils partirent. La ville de Pella, au delà du Jourdain, dans le royaume tranquille d'Agrippa; reçut leur fuite. De cet asile, ils assistèrent navrés à l'accomplissement des redoutables prophéties.
Au bout de quatre ans, lorsque la guerre eut dévoré Jérusa-lem et son Temple. Syméon ramena son troupeau parmi les ruines. Désormais un abîme infranchissable les isolait du passé.
Leur douleur ne fut pas moindre que celle des Juifs ; les chré-tiens issus de la nation élue ne se résignaient pas à voir leur cause se séparer, sans espoir, de la sienne. « Même envers la Synagogue déicide et persécutrice, une sorte de piété filiale se retrouvait parmi eux. » Ils la pleuraient : ils ne pleuraient pas moins sur la suppression de tous les rites mosaïques auxquels ils étaient restés attachés. La nécessité providentielle s'impo-sait d'aller dorénavant vers un avenir totalement délivré des observances légales et de consommer le divorce qu'avait pré-paré le concile de Jérusalem. A ce deuil s'ajoutaient les angoisses d'un présent de famine et de détresse. L'exil avait épuisé les ressources petitement emportées ; entre les ruines des murailles, rien ne subsistait de ce qu'on avait laissé. Il fallait vivre cepen-dant. Mais la misère de l'évêque et de son peuple fut acceptée, supportée d'autant plus vaillamment, que Dieu la favorisa par de nombreux miracles et compensa la pauvreté de l'Église par sa fécondité. La communauté de Jérusalem ne cessa de pros-pérer et de s'accroître, défendue par la foi vaillante de Syméon contre les hérésies naissantes, pendant les trente années qui s'écoulèrent jusqu'à la persécution de Domitien, et même jus-qu'à celle de Trajan.
Il ne semble pas en effet que la première ait atteint la Pales-tine. Syméon y aurait-il échappé, lorsque le fils de Vespasien rechercha, dans la crainte de leur ambition, les derniers fils de David? Pourtant il ne fut pas alors inquiété. Il fallut, pour qu'il eût, comme son frère Jacques, l'honneur du martyre, un de ces mouvements populaires qui firent, au commencement du règne de Trajan, les premières victimes de ce prince. En 107, des païens, des juifs, des chrétiens hérétiques, cérinthiens, nicolaïtes, esséens, le dénoncèrent au légat consulaire Tiberius Claudius Atticus, tout à la fois comme chrétien et comme des-cendant de David. Le légat fit comparaître à son tribunal ce vieillard de cent vingt ans, dont on redoutait encore les projets ambitieux ou l'influence. Il ne lui épargna ni les fouets ni la torture. L'évêque subit tout, pendant plusieurs jours, avec un courage qui fit l'admiration des spectateurs, des bourreaux et même du juge. Enfin, pour en avoir raison, on l'attacha à une croix, comme son Maître, comme son parent divin, dont il eut ainsi le bienheureux honneur de partager le supplice. Il était, dit-on, le dernier survivant de tous ceux qui virent de leurs yeux mortels le Sauveur parmi les hommes.
Atticus, après la mort de Syméon, voulut continuer les re-cherches qu'avaient amorcées les dénonciateurs de l'évêque. Il apprit alors qu'eux-mêmes se rattachaient à cette race de David qu'ils avaient visée en leur victime. Pas plus qu'elle il ne les épargna : par leur mort, ils expièrent, non pas la gloire de partager une si noble origine, mais le crime odieux dont ils s'étaient lâchement souillés et que la vengeance divine pour-suivit dans leur châtiment.