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16 FÉVRIER SAINT GRÉGOIRE X PAPE (?-1276)

Le 29 novembre 1268, après quatre ans seulement de règne, le pape Clément IV était mort à Viterbe. C'était l'heure où, délivré des persécutions allemandes par l'extinction des Hohen-stauffen, le Saint-Siège se voyait menacé par l'ambition de Charles d'Anjou, roi de Naples. Les menées de celui-ci retar-dèrent pendant deux ans et demi l'élection du successeur de Clément IV ; enfin les cardinaux, vivement sollicités de mettre fin à ce douloureux interrègne, s'accordèrent pour désigner six d'entre eux, à qui serait remis le choix du pape nouveau. Gui-dées par saint Bonaventure, leurs voix se réunirent sur le nom de l'archidiacre de Liège, Thibaud, de la famille Visconti de Plaisance.
Thibaud, dès sa jeunesse, s'était fait remarquer par sa piété et son érudition ; il avait surtout acquis un vrai renom de cano-niste. Attaché au saint cardinal-évêque de Préneste, Jacques de Précoraria, il l'avait accompagné en 1239 dans sa légation en France, et successivement devint chanoine de Lyon et archi-diacre de Liège. Innocent IV lui proposa l'évêché de Plaisance ;
mais son humilité le lui fit refuser. Il revenait de Rome quand, à force d'instances, l'archevêque de Lyon, Philippe, obtint d'être aidé de sa science pendant le treizième concile œcuménique, tenu en cette ville (1245) et présidé par le pape lui-même. Mais ensuite il vint à Paris ; il aimait à y poursuivre ses travaux de droit canon. C'était le moment illustre entre tous, où à l'Uni-versité professaient Albert le Grand, saint Bonaventure et saint Thomas d'Aquin. Parmi eux, Thibaud Visconti ne faisait pas mauvaise figure. Le roi l'avait remarqué, rendait hommage à sa science, vénérait sa vertu par de tels témoignages d'estime, qu'on s'en étonna : « J'honore en lui, répondit-il, le temple de Dieu et le sanctuaire de l'Esprit-Saint. » Quelques années plus tard, à l'appel d'Urbain IV, puis de Clément IV, le roi de France prenait la croix avec ses trois fils, entraînant avec lui ses frères Alphonse de Poitiers et Charles d'Anjou, les comtes d'Artois, de Bretagne et de Flandre.
On sait quel fut l'échec de la huitième croisade. Le roi mort, Charles d'Anjou se hâta-de traiter et de rentrer en France.
Mais le prince Edouard d'Angleterre, qui avait débarqué à Tunis après la mort de Louis IX, voulut poursuivre la pieuse entreprise et mena ses troupes en Terre sainte. L'archidiacre de Liège, croisé dès le premier moment, l'y suivit ; il était auprès de lui, à Saint-Jean-d'Acre, lorsque les messagers lui arrivèrent qui lui apportaient la nouvelle de son élection au souverain pontificat. C'était le 27 octobre 1271 ; il prit le nom de Gré-goire X. Forcé de rebrousser chemin pour revenir à Rome, il ne s'y décida qu'avec des larmes dans les yeux : « Si je t'ou-blie, Jérusalem, dit-il avec le Psalmiste, que ma droite cesse de se mouvoir ! que ma langue s'attache à mon palais, si je cesse de penser à toi ! » Son premier acte de souverain pontife fut un acte d'apôtre :
il envoya en Chine deux dominicains, qui, accrédités comme ambassadeurs, enseigneraient à l'empereur la foi chrétienne.
Puis il s'embarqua pour l'Italie, où il arriva le 1 e r janvier 1272, à la grande joie de son peuple.
Il avait raison de se réjouir, et toute la chrétienté avec lui, car le pontificat qui commençait serait le plus glorieux des quatorze qui devait remplir la dernière moitié du xm e siècle Saint Grégoire X a poursuivi le relèvement de l'Empire romain, qu'il consacra en Rodolphe de Habsbourg, la réunion des Grecs, qu'il obtint, momentanément du moins, au second concile de Lyon (XIV e œcuménique), la délivrance de Jérusalem, la ré-forme du clergé et du monde chrétien, toutes œuvres bien conformes au caractère de sa sainteté.
C'est à secourir Jérusalem qu'il donna ses premiers soins.
Avant même d'arriver à Rome pour s'y faire couronner, il voulut, de Vîterbe, où était encore réunie la cour pontificale, demander pour la Cité sainte l'aide de Pise, de Gênes, de Venise et de Marseille, priant ces villes d'équiper dans ce but chacune trois galères ; il écrivit dans le même sens au roi de France, Philippe le Hardi. Et à la fin de sa vie ce souci le remplissait encore : c'est pour permettre aux nations chrétiennes de s'unir dans une immense croisade qu'il avait travaillé à rétablir la paix entre elles pendant tout son pontificat.
La paix, il la chercha d'abord dans la restauration du pou-voir impérial. Depuis la mort de Frédéric II, l'irréconciliable ennemi de la papauté, les électeurs n'avaient pu s'accorder pour le choix de son successeur. Richard de Cornouailles, frère de Henri III d'Angleterre, et Alphonse X cle Castille se dispu-taient la couronne. En se ralliant à Rodolphe de Habsbourg, élu le 1 e r octobre 1273, Grégoire entraîna vers ce prince l'Alle-magne entière. Ainsi fut écartée toute cause de guerre euro-péenne.
La paix, il voulut l'établir encore au sein de l'Église par la réforme des mœurs et par la cessation du schisme grec-L'empe-reur de Constantinople, Michel VIII Paléologue, dans un but plus politique que religieux, avait déjà lié partie avec le pape Urbain IV. C'était une affaire qu'il fallait se hâter de terminer.
Grégoire X le comprit ; il releva les avances de Michel et, dès le 31 mars 1272, il convoquait à Lyon un concile général qui traiterait de ce grave objet, aussi bien que de la correction des abus et des intérêts de la Terre sainte.
En attendant la réunion du concile, fixée au 1 e r mai 1274, il réclamait pour l'Église la paix avec la liberté. « La liberté, écrivait-il au roi de Portugal Alphonse III, est le rempart de la foi, qui est le lien de la société civile. Quand le démon veut renverser les États, il commence par persuader aux princes qu'il leur est avantageux de détruire la liberté de l'Église. » Il essayait encore, se rendant à Lyon, de réconcilier les Guelfes et les Gibelins de Florence ; il ne tint pas à lui que la concorde fût rétablie parmi les peuples de la Toscane.
Enfin il arriva au siège du concile. Cinq cents évêques, soixante-dix abbés mitres se trouvèrent réunis. On comptait encore un millier de théologiens, séculiers ou réguliers ; parmi eux, le général des Dominicains, Humbert de Romans, celui des Fran-ciscains, saint Bonaventure, et le savant frère prêcheur Pierre de Tarentaise, qui devait succéder à Grégoire X sous le nom d'Innocent V. Saint Thomas d'Aquin avait été convoqué aussi ;
mais en route pour le concile, il mourut le 7 mars à l'abbaye cistercienne de Fossanuova. Enfin on remarquait la présence des patriarches latins d'Antioche et de Constantinople, des ambassadeurs de France, d'Angleterre, d'Allemagne, de Sicile, des représentants des chevaliers du Temple et de Saint-Jean de Jérusalem.
Après trois jours de jeûne et de prières, la première séance s'ouvrit le 7 mai, par un discours du pape, dans l'église métro-politaine de Saint-Jean ; et tout d'abord, en attendant les députés grecs, l'assemblée s'occupa de la réforme et vota vingt-deux canons disciplinaires. Le second de ces canons, relatif à l'élection du pape, décidé que, pour éviter les longues vacances du Saint-Siège, « les cardinaux qui se trouveront dans la ville où le pape mourra attendront seulement huit jours les absents, puis s'assembleront dans le palais du pontife, où ils n'auront aucune relation avec le dehors. Si trois jours après leur entrée l'Église n'est pas pourvue d'un pasteur, les cinq jours suivants on ne servira qu'un mets aux cardinaux et, au delà de ce terme, rien que du pain, du vin et de l'eau. » Le 24 juin arrivèrent les ambassadeurs de l'empereur Michel Paléologue. Celui-ci, après avoir discuté avec quatre Frères Mineurs envoyés par le pape les conditions de l'union, les avait fait accepter par le clergé de l'Église grecque; c'est ce qu'annon-cèrent les ambassadeurs en adhérant pour lui à ces trois points :
la reconnaissance de la primauté du Saint-Siège, l'acceptation du principe de l'appel à Rome, la mention du pape dans la liturgie. C'est à la quatrième session, tenue le 6 juillet, en l'oc-tave des apôtres Pierre et Paul, qu'eut lieu cette solennelle adhésion. Puis le grand logoihèie, ou chancelier de l'empire, George Acropolitès, fit, au nom de l'empereur, le serment par lequel il abjurait le schisme et promettait fidélité au Saint-Siège. Alors l'assemblée entière entonna le Credo, en répétant trois fois» la formule Filioque, que rejetait l'Église grecque depuis Photius et Michel Cérulaire. Le schisme, qui avait duré deux cent vingt ans, était officiellement fini. Mais en réalité les passions ambitieuses du clergé grec ne souffrirent pas que cette heureuse réunion eût des suites.
L'heure était pourtant à la joie ; les grands projets de Gré-goire X semblaient près de se réaliser. Car à la suite du concile les volontés des princes s'unissaient dans un projet de croisade générale. La pape ardemment travaillait à le faire aboutir. Mais il ne devait pas vivre assez longtemps pour en avoir la joie.
Dix-huit mois ne s'étaient pas écoulés que, avant même d'avoir pu rentrer à Rome, il tomba malade a Arezzo, en Toscane. La 15. — SAINTE ET SANTES T*E niEU- — î.
piété profonde qu'il avait eue toujours et qui avait fait l'admi-ration des Lyonnais se montra avec effusion à ses derniers moments. Les lèvres attachées aux pieds de Jésus en croix, murmurant, les paroles de Y Ave Maria, il mourut avec tant de douceur, qu'il sembla s'endormir. C'était le 10 janvier 1276.
Les Grecs, charmés de ses vertus, le déclarèrent, dans un de leurs conciles, « un homme bienheureux et très saint, si toute-fois on doit l'appeler un homme et non pas un ange-».