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Les émotions au Moyen Âge. Petite histoire des émotions au Moyen-Age : Saviez-vous que les rois pouvaient user de leurs larmes pour lever un impôt ? Ou encore que l'on pratiquait jadis des formes de …Plus
Les émotions au Moyen Âge.

Petite histoire des émotions au Moyen-Age : Saviez-vous que les rois pouvaient user de leurs larmes pour lever un impôt ? Ou encore que l'on pratiquait jadis des formes de honte honorable ? Petit tour d'horizon des pratiques émotionnelles du Moyen Âge avec l'historien Damien Boquet.
Ajoutée le 4 janv. 2019
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Nos sentiments sont-ils intemporels ? Étaient-ils perçus de la même façon à notre époque et au Moyen Âge ? Les questions liées aux sensibilités et aux émotions à l'époque médiévale sont au cœur du travail de Damien Boquet, historien des sensibilités, maître de conférence à l’université Aix-Marseille en Histoire du Moyen Âge et co-auteur de Sensible Moyen Age : Une histoire des émotions dans l’occident médiéval ( Seuil, 2015).

Damien Boquet : " C’est la première chose qui a fasciné les historiens et même parfois qui les a déroutés : le fait que les émotions ont alors leur place dans tous les aspects de la vie quotidienne, de la vie sociale, de la vie personnelle, de la vie familiale. On en use dans la rue, au tribunal, à la guerre, pour gouverner - les princes gouvernent par l'émotion, par la colère, par les larmes. Ça a été le cas pour Charles le Téméraire un peu avant qu’il soit Duc de Bourgogne : alors qu’il est désargenté, il se présente devant le Parlement, qui a le pouvoir de voter un impôt nouveau, et pour réclamer cet impôt il va tenir un discours d’affection vis-à-vis de son peuple en pleurant devant eux, en disant : “je suis tellement malheureux de voir l’état de mes gens, la pauvreté, que je vous demande de lever cet impôt nouveau”.
Louis IX par exemple était également réputé pour essayer de pleurer souvent dans le repentir de ses péchés, et il se plaignait d'ailleurs de ne pas y parvenir autant qu’il le devrait. Au Moyen Âge, les larmes ont une connotation qui peut être totalement virile."

Des émotions et des genres

"À la base, on n’avait aucune émotion qui soit réservée à l’un ou l’autre sexe, c’est plutôt une question de dosage et de spécificité. C’est-à-dire qu’il y a des registres émotionnels qui sont plutôt féminins, c’est le cas par exemple de la honte. La honte du corps dévoilé, que nous appelons aujourd'hui la pudeur, est considérée comme une émotion plutôt féminine. En fait, ce que nous appelons pudeur appartient au Moyen Âge à un registre qui qualifie les hontes honorables : le fait de marcher la tête baissée, pour les femmes, le fait d’avoir un voile sur la tête, le fait pour les jeunes gens de facilement rougir lorsqu’on les met un peu en défaut. Tous ces comportements de honte atténuée sont qualifiés de honte honorable et ont une fonction sociale très précise, celle d’éviter la bascule dans la honte infamante qui est une catastrophe absolue. Au Moyen Âge, on meurt de honte, d’humiliation, et pour éviter cela on va d’une façon un peu paradoxale cultiver des formes homéopathiques de honte qui vont avoir leur place pour permettre cet équilibre.

À l’autre bout du registre, des crimes graves peuvent être réparés par des formes d’humiliation publique : s’abaisser, faire des processions presque dénudé, se faire flageller, sont des actes temporaires où l’honneur est défait pendant un temps. Il est défait de façon ritualisée, tout le monde connaît le rite et tout le monde connaît la fin de ce processus et la fin du processus permet la restauration de l’honneur."

Disparition de certaines émotions

1 "La délectation, comme façon de prendre plaisir à un désir qui n’est pas encore réalisé, est une construction typique de l’amour courtois. C’est-à-dire de ce lien amoureux qui ne passe pas par l’acte sexuel ou la réalisation même de la rencontre ou alors qui le repousse le plus loin possible notamment avec cette idée et cette culture amoureuse qui considèrent que la part la plus intense, la plus noble dans le moment amoureux, c’est le moment du désir.

2 La componction, c’est la tristesse pour ses péchés mais vu qu’on est triste pour ses péchés, il y a en même temps une forme de plaisir et de joie qui peut naître parce qu’on sait qu’on est sur le bon chemin du remords et du repentir.

3 L’acédie, c’est une espèce de dépression, de dégoût de soi et de Dieu qui est considérée comme la pire chose qui puisse arriver à un moine."

(Damien Boquet, historien, France Culture)