Commentaire de saint Jean Chrysostome (docteur de l'Eglise) quant à l’attitude du Christ Jésus envers son ami traître Judas
(Homélie 081 de St Jean Chrysostome)
« Le soir donc étant venu, il était à table avec ses douze disciples ». Qui ne s’étonnera, mes frères, de l’impudence de Judas ? Il ose se mettre à table avec les autres; il participe aux mêmes mystères. Et il ne rentre point en lui-même, quoique Jésus-Christ lui fasse un reproche secret, d’une manière si douce et si modérée, que tout autre que lui, qu’une brute même en eût été touchée. L’évangéliste marque à dessein que ce fut « lorsqu’ils étaient à table » que Jésus-Christ parla de celui qui allait le trahir, afin que le temps de la célébration de ces grands mystères, et la participation d’une même table, fissent voir avec plus d’horreur quelle était la malice de ce traître.
« Et comme ils mangeaient, il leur dit : Je vous dis en vérité que l’un de vous me trahira ». Avant même que de se mettre à table, Jésus avait lavé les pieds à Judas aussi bien qu’aux autres. Mais admirez la douceur de Jésus-Christ, et jusques à quel point il épargne ce disciple. Il ne dit pas un tel en particulier, mais en général : « Un d’entre vous me trahira », afin qu’en se voyant découvert par son maître, et espérant encore de pouvoir demeurer caché aux apôtres, il fût touché de pénitence. Jésus aime mieux effrayer tous les autres, et les frapper de crainte, que de ne pas donner encore à ce coupable cette ouverture pour le porter à se repentir de son crime : « Un d’entre vous », dit-il, d’entre vous qui êtes mes douze disciples, qui avez toujours été avec moi, dont je viens de laver les pieds, et à qui j’ai promis de si grandes choses; un d’entre vous, dis-je, « me trahira ». Une douleur profonde saisit alors tous les apôtres. Saint Jean marque « qu’ils se regardaient l’un l’autre », et que bien qu’ils ne se sentissent point coupables, ils se défièrent d’eux néanmoins, et demandèrent en tremblant : « Seigneur, est-ce moi » ? C’est ce que marque notre Evangéliste, lorsqu’il dit : « Et pleins d’une grande tristesse, ils commencèrent chacun à lui demander: Seigneur, est-ce moi ? Il leur répondit : Celui qui met la main avec moi dans le plat me trahira ». Remarquez, mes frères, quand le Sauveur déclare enfin celui qui le trahissait, c’est lorsqu’enfin il est obligé de le faire pour délivrer les autres d’une tristesse insupportable qui les rendait à demi-morts. La crainte les avait pénétrés jusqu’au fond du coeur : et c’était cette disposition qui les forçait tous de faire cette demande : « Seigneur, est-ce moi » ?
On peut dire néanmoins que ce ne fut pas là la seule cause pour laquelle le Sauveur voulut désigner quel serait celui d’entre eux qui le trahirait, mais qu’il voulait encore étonner Judas, et le faire rentrer en lui-même. Comme le traître n’avait point été touché des paroles obscures dont Jésus-Christ s’était servi pour le désigner, Jésus l’accuse plus clairement pour ébranler ce coeur endurci: « Lors donc », qu’ils eurent tous fait cette demande à Jésus-Christ, et qu’il leur eut répondu : « Celui qui met la main avec moi dans le plat, me doit trahir », il ajouta: « Pour ce qui est du Fils de l’homme il s’en va selon ce qui a été écrit de lui; mais malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme sera trahi. Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût pas né ». Quelques-uns disent que l’impudence de Judas allait si loin que, pour marquer davantage quel mépris il faisait de son Maître, il mit avec lui la main dans le plat. Mais, pour moi , je crois que Jésus-Christ ménagea cette rencontre pour faire plus d’impression dans l’esprit de ce disciple, par cette action qui témoignait PLUS D’AMITIÉ et DE FAMILIARITÉ, et qui était plus capable de le toucher.
2. Ne passons point légèrement de si grandes choses : arrêtons-nous à les considérer, afin de les graver plus profondément dans notre coeur. Une fois qu’elles y seront bien établies, elles n’y laisseront plus entrer la colère. Car si nous nous représentons bien cette dernière cène, où judas est assis à la même table que tous les apôtres, où jésus-christ qui voyait la trahison dans le coeur de ce disciple, le traite avec une bonté et une charité INCOMPRÉHENSIBLE, pourrons-nous nous abandonner aux mouvements de notre aigreur, et nourrir dans notre âme le poison de la colère ? Et considérez, je vous prie, la douceur avec laquelle le Fils de Dieu parle : « Pour ce qui est du Fils de l’homme, il s’en va selon ce qui a été écrit de lui ». Il veut soutenir ses apôtres par ces paroles, en les empêchant de croire que ce fût par faiblesse ou par impuissance qu’il allait mourir, et il tâche même de changer le coeur de celui qui le trahissait.
« Mais malheur », ajoute-t-il, « à l’homme par qui le Fils de l’homme sera trahi : il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût pas né ».
CES PAROLES font bien voir encore l’ineffable douceur de Jésus-Christ. Car elles ne renferment pas le reproche et l’invective, mais elles sont l’expression d’un sentiment de compassion, expression toujours contenue, adoucie et voilée.
Mais ce qui me surprend le plus, c’est que le Fils de Dieu conserve cette douceur, lors même que Judas, ajoutant l’impudence à la perfidie, eut la hardiesse de lui dire : « Seigneur, est-ce moi? Judas qui le trahit, commença alors à lui dire : Seigneur, est-ce moi » ? Qui peut comprendre cet aveuglement ? Il demande si c’est lui qui doit commettre un crime qu’il a déjà formé dans son coeur. L’évangéliste ne rapporte cette parole qu’en s’étonnant de cette insolence. Cependant que répond à cela le Sauveur ? « Il lui répondit : Vous l’avez dit ». Il pouvait dire : Méchant, scélérat, traître, vous cachez ce dessein depuis tant de temps dans le fond de votre coeur; vous avez fait un traité diabolique : vous m’avez vendu, et vous en allez recevoir le prix et lorsque je vous reproche votre crime, vous me répondez comme si vous étiez le plus innocent de tous les hommes. Il ne lui parle point de cette manière, il lui dit simplement : « Vous l’avez dit ». C’est ainsi qu’il nous apprend à oublier les injures et à conserver une patience qui n’ait point de bornes.
(…)
3. Mais considérons ce que Judas répond, lorsque le Sauveur le reprend de son crime « Seigneur », dit-il, « est-ce moi » ? Pourquoi ne fit-il pas tout d’abord cette demande à Jésus-Christ avec les autres ? parce le Sauveur n’avait dit qu’en général : « Un d’entre vous me trahira », et Judas crut que dans cette confusion il pourrait facilement n’être pas connu. Mais quand il se vit désigné en particulier, l’extrême douceur de Jésus-Christ lui fit espérer qu’il l’épargnerait encore : ce fut dans cette espérance qu’il lui fit cette question, et qu’il l’appela « Rabbi », c’est-à-dire maître. O aveuglement du coeur ! où pousses-tu les hommes quand tu les possèdes ? C’est là, mes frères, l’effet de l’avarice. Elle rend les hommes stupides et sans jugement. Elle les change en bêtes ou plutôt en démons. C’est cette passion furieuse qui a persuadé à Judas de s’abandonner au démon qui le voulait perdre, et de trahir Jésus-Christ qui voulait le sauver, Judas qui était lui-même un démon par la disposition de son coeur. C’est l’état où l’avarice réduit encore aujourd’hui ceux qui s’en rendent les esclaves ! Ils sont insensés , ils sont fous, ils sont tout entiers au gain, ils sont comme Judas. »
Fin d'extrait.
« Le soir donc étant venu, il était à table avec ses douze disciples ». Qui ne s’étonnera, mes frères, de l’impudence de Judas ? Il ose se mettre à table avec les autres; il participe aux mêmes mystères. Et il ne rentre point en lui-même, quoique Jésus-Christ lui fasse un reproche secret, d’une manière si douce et si modérée, que tout autre que lui, qu’une brute même en eût été touchée. L’évangéliste marque à dessein que ce fut « lorsqu’ils étaient à table » que Jésus-Christ parla de celui qui allait le trahir, afin que le temps de la célébration de ces grands mystères, et la participation d’une même table, fissent voir avec plus d’horreur quelle était la malice de ce traître.
« Et comme ils mangeaient, il leur dit : Je vous dis en vérité que l’un de vous me trahira ». Avant même que de se mettre à table, Jésus avait lavé les pieds à Judas aussi bien qu’aux autres. Mais admirez la douceur de Jésus-Christ, et jusques à quel point il épargne ce disciple. Il ne dit pas un tel en particulier, mais en général : « Un d’entre vous me trahira », afin qu’en se voyant découvert par son maître, et espérant encore de pouvoir demeurer caché aux apôtres, il fût touché de pénitence. Jésus aime mieux effrayer tous les autres, et les frapper de crainte, que de ne pas donner encore à ce coupable cette ouverture pour le porter à se repentir de son crime : « Un d’entre vous », dit-il, d’entre vous qui êtes mes douze disciples, qui avez toujours été avec moi, dont je viens de laver les pieds, et à qui j’ai promis de si grandes choses; un d’entre vous, dis-je, « me trahira ». Une douleur profonde saisit alors tous les apôtres. Saint Jean marque « qu’ils se regardaient l’un l’autre », et que bien qu’ils ne se sentissent point coupables, ils se défièrent d’eux néanmoins, et demandèrent en tremblant : « Seigneur, est-ce moi » ? C’est ce que marque notre Evangéliste, lorsqu’il dit : « Et pleins d’une grande tristesse, ils commencèrent chacun à lui demander: Seigneur, est-ce moi ? Il leur répondit : Celui qui met la main avec moi dans le plat me trahira ». Remarquez, mes frères, quand le Sauveur déclare enfin celui qui le trahissait, c’est lorsqu’enfin il est obligé de le faire pour délivrer les autres d’une tristesse insupportable qui les rendait à demi-morts. La crainte les avait pénétrés jusqu’au fond du coeur : et c’était cette disposition qui les forçait tous de faire cette demande : « Seigneur, est-ce moi » ?
On peut dire néanmoins que ce ne fut pas là la seule cause pour laquelle le Sauveur voulut désigner quel serait celui d’entre eux qui le trahirait, mais qu’il voulait encore étonner Judas, et le faire rentrer en lui-même. Comme le traître n’avait point été touché des paroles obscures dont Jésus-Christ s’était servi pour le désigner, Jésus l’accuse plus clairement pour ébranler ce coeur endurci: « Lors donc », qu’ils eurent tous fait cette demande à Jésus-Christ, et qu’il leur eut répondu : « Celui qui met la main avec moi dans le plat, me doit trahir », il ajouta: « Pour ce qui est du Fils de l’homme il s’en va selon ce qui a été écrit de lui; mais malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme sera trahi. Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût pas né ». Quelques-uns disent que l’impudence de Judas allait si loin que, pour marquer davantage quel mépris il faisait de son Maître, il mit avec lui la main dans le plat. Mais, pour moi , je crois que Jésus-Christ ménagea cette rencontre pour faire plus d’impression dans l’esprit de ce disciple, par cette action qui témoignait PLUS D’AMITIÉ et DE FAMILIARITÉ, et qui était plus capable de le toucher.
2. Ne passons point légèrement de si grandes choses : arrêtons-nous à les considérer, afin de les graver plus profondément dans notre coeur. Une fois qu’elles y seront bien établies, elles n’y laisseront plus entrer la colère. Car si nous nous représentons bien cette dernière cène, où judas est assis à la même table que tous les apôtres, où jésus-christ qui voyait la trahison dans le coeur de ce disciple, le traite avec une bonté et une charité INCOMPRÉHENSIBLE, pourrons-nous nous abandonner aux mouvements de notre aigreur, et nourrir dans notre âme le poison de la colère ? Et considérez, je vous prie, la douceur avec laquelle le Fils de Dieu parle : « Pour ce qui est du Fils de l’homme, il s’en va selon ce qui a été écrit de lui ». Il veut soutenir ses apôtres par ces paroles, en les empêchant de croire que ce fût par faiblesse ou par impuissance qu’il allait mourir, et il tâche même de changer le coeur de celui qui le trahissait.
« Mais malheur », ajoute-t-il, « à l’homme par qui le Fils de l’homme sera trahi : il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût pas né ».
CES PAROLES font bien voir encore l’ineffable douceur de Jésus-Christ. Car elles ne renferment pas le reproche et l’invective, mais elles sont l’expression d’un sentiment de compassion, expression toujours contenue, adoucie et voilée.
Mais ce qui me surprend le plus, c’est que le Fils de Dieu conserve cette douceur, lors même que Judas, ajoutant l’impudence à la perfidie, eut la hardiesse de lui dire : « Seigneur, est-ce moi? Judas qui le trahit, commença alors à lui dire : Seigneur, est-ce moi » ? Qui peut comprendre cet aveuglement ? Il demande si c’est lui qui doit commettre un crime qu’il a déjà formé dans son coeur. L’évangéliste ne rapporte cette parole qu’en s’étonnant de cette insolence. Cependant que répond à cela le Sauveur ? « Il lui répondit : Vous l’avez dit ». Il pouvait dire : Méchant, scélérat, traître, vous cachez ce dessein depuis tant de temps dans le fond de votre coeur; vous avez fait un traité diabolique : vous m’avez vendu, et vous en allez recevoir le prix et lorsque je vous reproche votre crime, vous me répondez comme si vous étiez le plus innocent de tous les hommes. Il ne lui parle point de cette manière, il lui dit simplement : « Vous l’avez dit ». C’est ainsi qu’il nous apprend à oublier les injures et à conserver une patience qui n’ait point de bornes.
(…)
3. Mais considérons ce que Judas répond, lorsque le Sauveur le reprend de son crime « Seigneur », dit-il, « est-ce moi » ? Pourquoi ne fit-il pas tout d’abord cette demande à Jésus-Christ avec les autres ? parce le Sauveur n’avait dit qu’en général : « Un d’entre vous me trahira », et Judas crut que dans cette confusion il pourrait facilement n’être pas connu. Mais quand il se vit désigné en particulier, l’extrême douceur de Jésus-Christ lui fit espérer qu’il l’épargnerait encore : ce fut dans cette espérance qu’il lui fit cette question, et qu’il l’appela « Rabbi », c’est-à-dire maître. O aveuglement du coeur ! où pousses-tu les hommes quand tu les possèdes ? C’est là, mes frères, l’effet de l’avarice. Elle rend les hommes stupides et sans jugement. Elle les change en bêtes ou plutôt en démons. C’est cette passion furieuse qui a persuadé à Judas de s’abandonner au démon qui le voulait perdre, et de trahir Jésus-Christ qui voulait le sauver, Judas qui était lui-même un démon par la disposition de son coeur. C’est l’état où l’avarice réduit encore aujourd’hui ceux qui s’en rendent les esclaves ! Ils sont insensés , ils sont fous, ils sont tout entiers au gain, ils sont comme Judas. »
Fin d'extrait.