Mgr Vigano, Pape des sédévacantistes et autres Williamsoniens, est-il canonisable? Par Éric Sénanque
PORTRAIT. Viganò aime le pouvoir, l'argent et a une dent contre François, dont il réclame la démission pour avoir couvert un cardinal accusé d'abus sexuels.
Par Éric Sénanque, au Vatican
Publié le 29/08/2018 à 10h55
Selon son frère, religieux, Carlo Maria Vigano est « un loup déguisé en agneau »
La scène remonte à juillet 2013, quatre mois après l'élection du pape François. Nous sommes à Dallas et Mgr Carlo Maria Viganò, alors nonce apostolique aux États-Unis, participe à un colloque sur la bioéthique. Lors d'une pause, il croise un cardinal romain, proche du souverain pontife argentin. « J'aimerais devenir cardinal, on me l'a promis, pouvez-vous en parler au pape ? » lance le diplomate. L'anecdote en dit long sur la soif de pouvoir de celui qui exige aujourd'hui la démission du pape pour avoir couvert le cardinal McCarrick, accusé d'abus sexuels sur des mineurs.
La carrière de Mgr Viganò est d'abord celle d'un brillant diplomate. Lombard né en 1941 dans une famille de huit enfants, il entre au service diplomatique du Saint-Siège en 1973, cinq ans après avoir été ordonné prêtre. Il fait ses classes en Irak, en Grande-Bretagne puis au Nigeria. En 1998, c'est la consécration : Jean-Paul II le nomme délégué pour les représentations pontificales. Un poste stratégique dans la puissante diplomatie pontificale. Comme chef de tous les ambassadeurs du Saint-Siège dans le monde, Viganò sillonne la planète, prend le pouls des églises locales et rencontre les plus hautes autorités politiques.
Premiers ennemis
Au gouvernorat de la cité du Vatican où il est nommé en 2009, l'évêque continue à gravir les échelons. L'une de ses tâches sera de rationaliser les dépenses trop importantes du petit État. Dans une lettre écrite au pape Benoît XVI en mars 2011, il dénonce notamment « de nombreuses situations de corruption et de malversation enracinées depuis longtemps dans la gestion du gouvernorat ».
Derrière les murailles du Vatican, l'homme se fait ses premiers ennemis. En 2010, des mails anonymes envoyés à plusieurs cardinaux et ambassades vaticanes dénoncent le népotisme de l'Italien, accusé d'avoir fait embaucher son neveu à la Secrétairie d'État, le plus important dicastère de la Curie romaine. Il est même accusé par un journal de vouloir prendre le contrôle des services de sécurité du Vatican !
Le goût de l'argent
En 2015, l'archevêque écoute un discours du pape François à Washington.
Quelques semaines plus tard, sa nomination à Washington prend des allures de mise à l'écart. Le Saint-Siège rétorque qu'il s'agit au contraire d'une preuve de sa confiance à son égard. Quoi qu'il en soit, cette mise au placard irrite l'intéressé au plus loin. « Viganò n'a jamais supporté d'avoir été éloigné du Vatican », relève un fin connaisseur du dossier à Rome. À cela s'ajoute un caractère instable. « Ses colères sont mémorables », souligne Luis Badilla, administrateur du Sismografo, site spécialisé dans l'information vaticane, et ancien de Radio Vatican, « ses collaborateurs se souviennent encore de ses coups de gueule dans les couloirs, des menaces aussi qu'il proférait si l'on touchait à son neveu », poursuit le journaliste chilien.
Viganò ne semble pas seulement attiré par la pourpre cardinalice. Il serait aussi fasciné par l'argent. C'est son frère Lorenzo qui lève le voile sur cet attrait. « Carlo Maria est un loup déguisé en agneau », explique-t-il au quotidien italien Il Giornale en 2013, racontant avoir été spolié lors d'un héritage familial. Un million d'euros aurait mystérieusement disparu. « Si je deviens cardinal, cela pourrait être mal vu que l'on sache que j'ai autant d'argent », lui aurait expliqué l'archevêque, voulant encaisser l'argent au nom d'une société opaque.
« Lobby homosexuel »
En 2012, le nom de Carla Maria Viganò est associé au scandale des Vatileaks, qui fait la une des journaux du monde entier. Dans ces documents confidentiels qui ont fuité, le nonce à Washington se plaint à Benoît XVI d'avoir été nommé dans la capitale américaine. On veut le faire taire, jure-t-il, pour avoir dénoncé scandales financiers, favoritisme et népotisme au cœur du Vatican. Il y dénonce aussi déjà un « lobby homosexuel », une de ses obsessions qu'il reprend dans sa récente diatribe contre le pape François.
L'ancien diplomate a la rancune tenace. Depuis sa retraite en 2016, Viganò est un acteur de poids dans les tentatives de déstabilisation du pape François. On retrouve son nom dans la « correction filiale », une lettre ouverte au souverain pontife rendue publique en septembre 2017. Ses signataires tirent à boulets rouges sur l'exhortation apostolique Amoris Laetitia signée par le souverain pontife en 2016, texte pontifical portant sur l'amour dans la famille, une synthèse des deux synodes qui se sont tenus à Rome en 2014 et 2015. Selon ces frondeurs, le pape « propage l'hérésie » au sein de l'Église et serait contaminé par les idées protestantes. Un discours que l'on retrouve chez les intégristes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X. Leur ancien chef de file, Mgr Bernard Fellay, est d'ailleurs aussi l'un des signataires, aux côtés de Mgr Viganò.
« Affaiblir l'image du pape François »
« Il est de ceux qui n'ont jamais accepté le conclave de 2013 qui a élu Bergoglio », explique Nello Scavo, grand reporter au quotidien Avvenire. « Cette lettre est clairement une manœuvre destinée à affaiblir l'image du pape François », estime le journaliste italien, auteur de l'ouvrage Les Ennemis du Pape (éd. Bayard). Un travail de sape qui a commencé quand Viganò était à Washington. Lors de la visite du pape François en septembre 2015, c'est le nonce qui lui fait rencontrer la très controversée Kim Davis, égérie des milieux conservateurs et qui a fait de la prison pour avoir refusé de délivrer des licences de mariage à des couples homosexuels. Un tête-à-tête non prévu qui met en colère le pape argentin.
Mais l'attaque frontale de Viganò contre le souverain pontife pourrait se retourner contre lui. Alors qu'il accuse le pape d'avoir couvert un cardinal prédateur sexuel, la presse américaine a récemment révélé qu'il aurait lui-même trempé dans une sombre affaire : quand il était en poste à Washington, il aurait encouragé un prélat à détruire des documents compromettants sur son supérieur, l'archevêque de Saint-Paul et Minneapolis, qui aurait fermé les yeux sur des scandales d'abus. De quoi jeter un peu plus le trouble sur l'intrigant prélat.
Éric Sénanque.