L'esclavage chrétien dans la régence turque d'Alger du XVIème au XIXème siècles. Après la chute de Grenade en 1492, la Reconquista est terminée. L'Espagne n'a plus sur son sol un seul état arabe, …Plus
L'esclavage chrétien dans la régence turque d'Alger du XVIème au XIXème siècles.

Après la chute de Grenade en 1492, la Reconquista est terminée. L'Espagne n'a plus sur son sol un seul état arabe, mais compte encore beaucoup de Maures qui refusent de vivre dans un monde chrétien, et un grand nombre se réfugie en Afrique du Nord, base de départ de leurs ancêtres. Les Maures reviennent sur les terres ancestrales, le cœur rempli de haine contre les Chrétiens. Sitôt installés, ils mènent une vive campagne antiespagnole et n'ont qu'un seul désir, celui de se venger. Mais faute de pouvoir lever des armées à la conquête de l'Andalousie, les navires barbaresques vont semer la terreur et la désolation sur les côtes ibériques Au cours du XVIème siècle les ports méditerranéens de l'Ifriqiya armeront des galères qui se livreront à la piraterie. Pour les pirates maures, au début, la piraterie est plus un djihâd, une sorte de guerre sainte maritime contre les Chrétiens, qu'une forme de profits. C'est sous l'impulsion des Turcs que la piraterie deviendra brigandage, et les pirates, soldats de l'islam, deviendront des pillards et réduiront des Chrétiens à l'esclavage.

Car il n'y a pas d'esclavage sans piraterie. Le pirate fait des prisonniers qu'il vend ensuite sur le marché des esclaves ou qu'il garde dans sa part de prise pour compléter les rameurs de sa chiourme. Les femmes captives représentent un faible pourcentage dans l'esclavage. Elles sont principalement enlevées et emmenées lors des razzias barbaresques sur les côtes d'Europe. Les femmes sont sexuellement respectées jusqu'à leur vente sur le marché pour ne pas " déprécier la marchandise ". Ce sont des domestiques recherchées, sachant mieux diriger une maison que les Turques et les Maures. Elles sont dociles car, bien que le sort d'une esclave ne soit pas enviable, elles craignent cependant de changer de maître. En donnant un enfant à son maitre musulman, celui-ci n'a plus le droit de la vendre. Souvent même il l'épouse. La mise au monde de sa progéniture fait disparaître le retour en terre chrétienne dans son esprit.

L'origine de la captivité des enfants est analogue à celle des femmes. Ils sont razziés sur les côtes ou capturés en mer. Le destin qui attend les adolescents étreint le cœur. On était friands à Alger de " garçons qui sont femmes barbues " et on s'y livrait volontiers au " péché abominable " selon les expressions de De Haëdo. Les musulmans qui achètent un enfant sur le marché des esclaves ou qui lui est attribué dans le butin de prise refusent de négocier son rachat. Car ils ont sur lui des vues d'avenir. L'enfant converti est plus malléable que l'adulte. Aspirer cette jeunesse vers le monde musulman, c'est amoindrir les forces vives du monde chrétien. C'est pourquoi il faut, le plus rapidement possible, lui faire renier sa foi chrétienne. On a vu quelquefois des circoncisions faites sur le navire même qui avait capturé ces malheureux enfants par le barbier du bord.

Les hommes capturés en mer fournissent le gros contingent des bagnes d'Alger, car le danger est partout en Méditerranée. Les bagnes algérois dans lesquels logent les esclaves sont propriété du souverain. Les esclaves se vendent au plus offrant au marché appelé " Batistan " ou " Badistan ". Les exactions sont insupportables dans le bagne aux cellules basses, sombres et malsaines, infestées de vermine. Couchés dans des hamacs pendus les uns au-dessus des autres, les esclaves souffrent du froid l'hiver, de la grande chaleur l'été, de l'humidité et de la vermine en toutes saisons, maltraités par des gardiens qui ne leur donnent que de mauvais biscuits et de l'eau souvent putride.

Pas de rations distribuées le vendredi, jour d'Allah, les esclaves font " maigre " jusqu'au samedi. Si les riches s'échangent eux-mêmes, les pauvres sont soumis à une condition pitoyable. C'est pour eux que, partout dans la Chrétienté, se créent et se multiplient les entreprises charitables de rachat. Dès 1192, Jean de Matha, gentilhomme provençal, fonde l'ordre des Mathurins et des Trinitaires. Plus tard les Lazaristes, ordre créé par Monsieur Vincent, qui deviendra Saint Vincent de Paul. Les religieux qui traitent du rachat des esclaves organisent dans toute la Chrétienté des quêtes pour réaliser les sommes exigées. Au retour des libérés, disparus depuis trop longtemps, frappés en quelque sorte de mort civile, ce sont d'invraisemblables situations à résoudre.
On comptait à Alger en 1634 six bagnes principaux. Leur nombre était réduit à quatre en 1675 et il n'en restait plus que trois en 1830. Le frère bénédictin espagnol De Haëdo en 1580 estimait à 25 000 le nombre des esclaves chrétiens détenus à Alger. Le père Dan, un Trinitaire qui se dévoua au sort des captifs, en dénombrait 30 000 en 1634. Au début du XIXème siècle, Alger demeurait toujours un repaire de forbans qui comptait encore 1 600 captifs chrétiens. Les derniers prisonniers de la Régence furent délivrés par les troupes françaises le 5 Juillet 1830. Dans son livre Histoire du monde, J. Duché estime qu'en un peu plus de trois siècles un million d'esclaves chrétiens a été détenu dans les bagnes d'Alger.
En ces temps de grande repentance, nos dirigeants ont pris la détestable habitude de battre leur coulpe sur nos poitrines. Il est cependant utile de comparer l'esclavage barbaresque avec la traite des Noirs pratiquée par les négriers malouins, nantais ou bordelais.
La capture des populations chrétiennes par les pirates musulmans est d'abord un vol de " chiens de chrétiens ", conforme au djihâd ordonné par le Coran, le profit ne venant qu'après. Les pirates débarquent sur une côte, donnent la chasse aux habitants effrayés qui s'enfuient à leur arrivée. Les prédateurs poursuivent les fuyards loin à l'intérieur des terres, occupent provisoirement la région et ramènent à bord de leurs navires les captifs qui finiront dans les bagnes du Maghreb.

Rien de tel avec les négriers. Leurs navires restent sur la côte africaine. Ils ne participent pas à la capture des esclaves, laissant ce soin aux intermédiaires africains ou arabes, aux chefs de tribus qui ramènent avec eux leurs prisonniers, conséquence de leur victoire dans les luttes tribales endémiques. Les trafiquants européens se contentent de payer en argent ou en babioles les captifs amenés là.
Le célibat est la règle imposée par les Barbaresques à leurs esclaves. Dès leur capture, les hommes sont séparés des femmes. Il n'y a aucune possibilité d'union entre eux, encore moins l'union d'une femme musulmane avec un esclave chrétien, toujours puni de la peine de mort. C'est la raison pour laquelle aucune descendance d'esclaves n'existe au Maghreb actuel. Ce qui n'était pas le cas dans les plantations américaines, où des centaines de milliers de Noirs américains, descendants de ces unions entre esclaves noirs ou entre esclaves noires et maîtres blancs, en sont la preuve flagrante.
Terminons pour dire que l'expédition française en Algérie s'est faite avec des généraux qui avaient servi dans les armées de la Révolution puis de l'Empire. De l'Espagne à Moscou ces soldats français libéraient les peuples opprimés au nom de la Liberté et des Droits de l'Homme. Arrivés à Alger, leur premier acte a été de détruire les quartiers pénitentiaires tristement célèbres, se souciant peu de la conservation de traces qui symbolisaient la société médiévale qu'ils avaient partout combattue. Plus de vestiges de ces bagnes barbaresques, au contraire des camps de concentration nazis, devenus des lieux de mémoire. En leur absence on construit même pieusement une réplique à l'identique. En Afrique les vestiges des centres de transit sont eux aussi religieusement conservés.
R. COURTINAT
tintine
A propos de l'Algérie d'hier, et d'aujourd'hui, voici un article intéressant intitulé: "enfoui comme un prêtre en Algérie"
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