Co-rédemptrice, un terme équivoque.
Pour revenir au terme "co-rédemptrice" voici un texte de théologie dogmatique anté-conciliaire tiré d'un manuel fameux destiné à la formation des prêtres et des religieux. Il ne dit pas autre chose que la note de la CDF.
"Synthèse. D’après l’Écriture comme d’après la Tradition, Marie prend doublement part à la Rédemption. Tout d’abord, et c’est là le plus important, par sa maternité : elle est la Mère du Sauveur. Elle y prend part, en second lieu, par sa coopération à l’œuvre de la Rédemption, elle est la Mère de ceux qui doivent être sauvés. La première participation fait déjà l’objet d’un dogme ; la seconde attend encore sa définition.
Scheeben, qui a travaillé plus que personne en Allemagne à développer la mariologie, écrit que « Marie n’est pas un principe coordonné dans le Christ et indépendant de lui, habilité et appelé pour compléter sa force et sa puissance rédemptrice ». Elle a en effet été rachetée par lui et « ne peut qu’en tant que rachetée par lui, en vertu de la force reçue de lui‑même, coopérer à l’œuvre de la Rédemption ». Elle a « si peu le pouvoir de compléter la force et la puissance rédemptrice interne du Christ qu’elle est plutôt portée essentiellement par la foi à la force du Christ et que son seul but est que cette force parvienne d’une manière convenable à son exercice. C’est pourquoi l’influence de Marie sur la Rédemption est une pure coopération et cette coopération de son côté n’est qu’une coopération ministérielle avec l’acte rédempteur du Christ qui est en soi l’acte rédempteur indépendant et proprement dit. Marie elle‑même n’est qu’une collaboratrice acceptée par le Rédempteur, c‑à‑d. appelée et habilitée par lui, une collaboratrice qui le sert de près dans la réalisation de l’œuvre rédemptrice que supporte entièrement sa propre force et puissance ou, pour le dire en latin d’une manière plus concise et plus plastique, elle est la « ministra Redemptoris in opere redemptionis ». Scheeben s’efforce, avec raison, d’écarter la difficulté qui se trouve dans la syllabe « co » du mot « coopération », en représentant l’acte rédempteur du Christ comme étant en lui‑même complet, achevé, principal. En effet l’acte du Christ doit logiquement et objectivement être posé avant, car ce n’est que par lui que Marie est ce qu’elle est : « Servante de la Rédemption ». Il est déjà défini, on le sait, que c’est « au vu des mérites du Christ » qu’elle a reçu sa rédemption. La notion de Rédemption est une notion unique, achevée en elle‑même. S. Paul parle très nettement de la Rédemption (le singulier avec l’article, Rom. 31, 24, etc.). On ne doit pas courir le risque de briser cette notion par une expression qui implique une coordination. Car ce qui pour Marie est une coopération en est une aussi pour le Christ. Une partie fournit la coopération pendant que l’autre la reçoit. Il semble donc que la formule de Scheeben elle‑même ait besoin d’être corrigée. Scheeben d’ailleurs connaît une autre formule. Il continue : Dans les temps modernes (depuis le 16ème siècle) on a appelé Marie « coopératrice à la Rédemption » et aussi « corédemptrice ». Mais cette expression, bien qu’elle ait un sens très bon, voire très beau, qui ne peut pas être rendu par un autre aussi concis et aussi net, présente cependant, prise toute seule, au lieu de l’accentuation de la subordination et de la dépendance ministérielle de Marie, un peu trop l’apparence d’une coordination avec le Christ ou bien d’un complément de la force du Christ. Aussi ne devrait on l’employer qu’avec la restriction expresse : « dans un certain sens ». Il pense qu’ « Auxiliaire du Rédempteur pour l’œuvre de rédemption » serait meilleur, mais il fait encore immédiatement une restriction : « Seulement on ne doit pas entendre ici aide dans le sens ordinaire de soutien, c‑à‑d. le renforcement d’une force en soi insuffisante par une autre force, mais dans le sens d’un service qui favorise l’obtention d’un but ». Nous laissons à d’autres le soin de juger si Scheeben est plus clair maintenant qu’auparavant. Diekampf élève aussi des difficultés : « Depuis le 17ème ou le 18ème siècle, certains théologiens soutiennent qu’il faut donner un nouveau titre d’honneur à la Très Sainte Vierge, celui de « corédemptrice ». Ils apportent, dans ces efforts, on ne peut pas le contester, de bons sentiments qu’on peut admettre dogmatiquement. Mais, pour éviter des malentendus faciles, ils sont obligés d’entourer leur expression de tant de réserves et de la détourner tellement de son sens propre qu’il vaudrait mieux s’abstenir d’employer cette expression. Pour des raisons semblables, j’avais également refusé jusqu’ici d’employer ce terme, car sans les « réserves », il peut être mal compris « dans son sens propre ». Je l’ai ensuite accepté dans la troisième et la quatrième édition de mon livre sur la Sainte Vierge, parce qu’il a été employé par les derniers Papes dans des Encycliques. Il n’en reste pas moins des difficultés pour la dogmatique scientifique. Ces difficultés proviennent manifestement de la syllabe « co ». Le Traité de la grâce nous offre un exemple de la coopération entre un supérieur et un inférieur dans la notion de « grâce coopérante ». Mais la chose est différente, car l’effet de la grâce et de la volonté est « totus Dei et totus hominis », ce qu’on ne peut pas dire du Christ et de Marie même d’une manière analogue. On a proposé et mis en usage une formule, d’après laquelle Marie a mérité pour nous de congruo tout ce que le Christ a mérité de condigno. Mais si nous voulons adopter cette manière de voir et, au moyen de cette expression scolaire née au 13ème siècle, expliquer la participation de Marie à l’œuvre de l’Homme‑Dieu, il nous faut rendre acceptable théologiquement que la « satisfaction surabondante » du Christ ait pu recevoir encore un « complément » ou une « aide » de la part de Marie ; il nous faudra ensuite établir par l’Écriture et la Tradition que cette formule est tout au moins implicitement révélée ; il nous faudra encore éviter le danger de briser la notion de l’unicité et de l’unité absolue de la Rédemption qui se trouve partout dans la Révélation. Doit‑on se représenter la chose de cette façon : Le Christ a d’abord racheté Marie seule, de condigno afin de racheter ensuite le monde avec elle (cooperans), lui par le mérite de condigno et elle par le mérite de congruo ? Le mérite de Marie ne peut avoir son fondement que dans le mérite du Christ. Mais il faut établir que tout cela se trouve manifestement dans le plan divin du salut. Sur ce point, les travaux réunis des théologiens auront encore de la lumière à faire."
Précis de théologie dogmatique Bartmann.