Article 20 : La perte du pontificat « ipso facto »
Résumé de l’article 19 :
« Si l'on suivait la bulle de Paul IV et si les prescriptions dans le § 6 étaient vraiment de droit divin comme l'avancent péremptoirement, mais fort inintelligemment, les sédévacantistes, tout le mouvement traditionaliste serait... sans évêques et bien sûr sans prêtres (Mgr Lefebvre ayant été sacré par le Cal Liénart, ce dernier étant réputé franc-maçon, son sacre était donc invalide).
Mais, à la limite, ce ne serait pas vraiment « grave », bien sûr, pour un sédévacantiste qui se respecte, et qui n’est pas à cela près d’invalider le sacre de Mgr Lefebvre...
Autre conséquence : la disparition de l'Eglise catholique au VI° siècle : selon les prescriptions du § 6 de ladite bulle, en effet, l'Église aurait disparu dès... le sixième siècle, sous le pape Vigile (538-555) ».
La cause est entendue : la bulle de Paul IV n’est d'ailleurs plus en vigueur dans la loi de l’Eglise à l’heure actuelle. Il ne suffit pas d’exhumer une authentique Bulle de 1559 comme « valable à perpétuité » (c’est-à-dire tant qu’un autre pape ne modifie pas ses prescriptions par un autre document) pour la déclarer applicable aujourd’hui. Démonstration complète ici :
La Bulle de Paul IV Cum ex apostolatus dans la crise actuelle par MORLIER (Laurent) | Chiré
Pour conclure cet article 19 historique sur la bulle de Paul IV, « que le lecteur saisisse bien que dans la critique du très-funeste § 6 de la bulle de Paul IV, il n’y avait nullement l'intention de discréditer la très-sacrée et très-sainte autorité pontificale.
Il ne s’agit que défendre le droit divin de l'Église et du Saint-Siège contre la faute de faiblesse très-excusable voire même... édifiante (quant à la motivation et au contexte), de papes accidentellement défaillants pour vouloir trop humainement le Bien de l'Église. Tout chrétien doit s'affliger d'une défaillance humaine du Pape sans pour autant le déchoir de sa position de chef de l’Église comme le font certains catholiques bcbg qui ont par-dessus le marché l'outrecuidance de le mépriser, du haut de leur position hérétique ».
Aucun pape dans l’Histoire de l’Eglise ne fut un formel hérétique, contrairement à ce qu’avancent les shismatiques de tous poils pour Honorius.
Honorius Ier et le monothélisme
Qu’en est-il de la perte du pontificat en cas d’hérésie ? Que prévoit l’Eglise si par impossible ce cas se présentait ?
Article 20 : la perte du pontificat ipso facto
« Toutes les erreurs ne sont pas des hérésies.
L’hérésie est la négation obstinée ou le doute d’une vérité qui doit être crue par la foi divine et catholique (cf. can. 751).
Les seules vérités qui requièrent l’assentiment de la foi divine et catholique sont les dogmes, c’est-à-dire les vérités formellement révélées qui ont été infailliblement proposées par le Magistère comme étant révélées. La négation de toute autre vérité, qu’elle ait été enseignée par le Magistère avec autorité ou même infailliblement, n’est pas une hérésie au sens strict du terme.
Saint Robert Bellarmin évoque également deux catégories d’hérétiques, à savoir les hérétiques notoires (ou « manifestes ») et les hérétiques occultes.
Les hérétiques occultes sont, ceux qui, par un acte purement intérieur, ne croient pas aux dogmes de foi proposés par l’Église. Sont également occultes ceux qui manifestent leur hérésie par des signes extérieurs, mais non par une profession publique (c’est-à-dire notoire).
Beaucoup d’hommes de notre temps appartiennent à cette dernière catégorie, à savoir ceux qui doutent ou ne croient pas positivement aux questions de foi, et qui ne dissimulent pas leur état d’esprit dans les affaires privées de la vie, mais qui n’ont jamais expressément renoncé à la foi de l’Église, et qui, lorsqu’on les interroge catégoriquement sur leur religion, déclarent de leur propre chef qu’ils sont catholiques ».
Le cardinal Billot fournit la base théologique de cette vérité. Après avoir expliqué que « seuls les hérétiques notoires sont exclus du corps de l’Église », il écrit :
« Aussi longtemps donc que l’hérésie n’est pas professée ouvertement [c’est-à-dire profession notoire], mais qu’elle reste dans l’esprit, ou qu’elle se borne à des manifestations qui ne suffisent pas à la notoriété, elle n’empêche nullement d’être uni à la structure visible de l’Église.
Et par le fait même le caractère baptismal, par lequel nous sommes faits pour être du corps de l’Église, continue nécessairement à produire son effet, ou plutôt conserve son corollaire naturel, puisqu’il n’y a encore rien de contraire qui puisse l’empêcher ou l’expulser ».
Si l’hérésie n’est pas notoire, le caractère baptismal continue à produire l’effet d’unir la personne au Corps de l’Église et n’a donc pas d’effet juridique sur la relation de la personne avec l’Église dans le for externe.
Même les sédévacantistes bien informés admettent volontiers qu’aucun des papes récents n’a été un hérétique notoire (ou manifeste). Par exemple, après avoir expliqué que « la notoriété exige que non seulement le fait du crime soit publiquement connu, mais aussi son imputabilité (cf. canon 2197) », l’évêque Sanborn admet que l’hérésie n’a été « publique en ce qui concerne l’imputabilité » chez aucun des « papes conciliaires ».
Puisqu’il reconnaît que cet élément essentiel de notoriété fait défaut, il admet également que les papes récents (et les évêques en union avec eux) sont tous restés des membres légaux (ou membres extérieurs de l’Église), puisque, comme il l’explique, « ceux qui ont reçu le baptême catholique sont légalement membres de l’Église jusqu’à ce qu’ils cessent de l’être »
par « hérésie persistante et notoire ».
Si aucun des « papes conciliaires » n’a été un hérétique notoire et est resté un « membre légal » de l’Église, comme l’admet volontiers Sanborn, même si jamais l’un ou plusieurs d’entre eux auraient été coupables du péché mortel d’hérésie, ils n’auraient été que des hérétiques occultes, et non des hérétiques « manifestes » (c.-à-d. notoires).
Par conséquent, ils n’auraient pas été déposés ipso facto selon la Cinquième Opinion de saint Bellarmin.
« En résumé, si un catholique tombe dans le péché d’hérésie formelle et même « le manifeste par des actes extérieurs », cela n’aura aucun effet juridique dans le for extérieur, à moins que les actes extérieurs suffisent à la notoriété.
Si son hérésie n’est pas considérée comme légalement prouvée, il reste un « membre légal » de l’Église ; et le fait d’être joint au Corps de l’Église légalement est tout ce qui est requis pour exercer une fonction dans l’Église et pour répondre à la définition de Bellarmin d’un véritable membre de l’Église.
L’Église peut déclarer un vrai pape coupable d’hérésie – Comment Dieu prive un pape hérétique de sa juridiction « par l’intermédiaire des hommes »
Si un Pontife romain tombe dans l’hérésie, mais ne s’est pas « séparé publiquement de l’Église », il conservera sa juridiction, sa dignité et son titre de chef de l’Église, jusqu’à ce qu’il soit « déclaré coupable d’hérésie ».
La déclaration par l’Eglise est une condition (mais pas une cause) de la perte du pontificat. Il ne s’agit pas d’une déclaration post factum selon laquelle un ancien « pape » est déjà déchu de son pontificat, mais d’un jugement selon lequel le pape régnant actuellement – qui conserve sa juridiction, sa dignité et son titre – est un hérétique.
Ce n’est que si le pape hérétique est reconnu coupable d’hérésie que sa juridiction lui est « retirée par Dieu ».
Dans le cas contraire, il reste pape. C’est l’enseignement de saint Robert Bellarmin et on le retrouve tout au long de ses écrits.
Saint Robert Bellarmin n’exclut pas la nécessité d’un jugement antérieur pour qu’un pape hérétique soit ipso facto déposé. Au contraire, sauf dans le cas extrême d’un pape qui se sépare publiquement de l’Église, il exige un jugement antérieur de l’Église (un Concile) comme condition pour que la perte de la charge ait lieu. La raison pour laquelle la déclaration de culpabilité par l’Eglise est une condition pour qu’un « hérétique manifeste soit ipso facto déposé » est que le pape hérétique devient un « hérétique manifeste » (hérétique notoire) lorsqu’il est déclaré coupable d’hérésie, et c’est donc à ce moment-là qu’il est « destitué par Dieu », ou « ipso facto déposé ».
Le pape doit être légitimement déclaré coupable d’hérésie par les cardinaux ou les évêques lors d’un concile – soit lors d’un concile parfait, si le pape le convoque lui-même, soit lors d’un concile imparfait, s’il refuse de le faire.
Il va sans dire que tout cela contredit directement la façon dont certains apologistes ont interprété saint Robert Bellarmin. Ils l’ont interprété comme enseignant que l’Église n’a aucun rôle à jouer dans la chute du pontificat d’un pape hérétique (sic !).
« Juger » le Pape
Un pape ne peut jamais être véritablement jugé, comme un supérieur juge un inférieur.
Par conséquent, les évêques réunis en concile ne peuvent jamais exercer de juridiction ou de pouvoir coercitif sur le pape, tant qu’il reste pape.
L’immunité de jugement du pape, qui fait partie de la loi divine, n’admet aucune exception, même en cas d’hérésie. La difficulté à laquelle sont confrontés les théologiens est d’expliquer comment l’Église peut légalement établir le fait qu’un pape est tombé dans l’hérésie, sans violer son immunité de jugement personnel.
« la déposition d’un pape ne peut donc pas se faire directement, par voie de jugement et de punition, puisque le pape n’a pas de supérieur sur terre par qui il pourrait être puni ».
Suarez :
« Nous nions donc que l’Église puisse exercer un pouvoir coercitif sur le Pontife, que ce soit par la censure ou de toute autre manière, à moins qu’il ne tombe d’abord du pontificat […].
Car tant qu’il reste un vrai Pape, il a juridiction sur toute l’Église, même prise ensemble ; et donc, par nécessité, il est de droit divin spirituellement exempt, c’est-à-dire qu’il n’est pas soumis à un pouvoir spirituel supérieur en dehors du Christ, parce qu’un tel pouvoir ne se trouve pas dans le monde. »
Pourtant, les évêques réunis en concile peuvent « déclarer » un pape coupable d’hérésie (Bellarmin) et le « déclarer » hérétique (Suarez), alors qu’il reste pape, et même le déposer indirectement (Jean de Saint-Thomas), ce qui nécessite évidemment une forme de jugement antérieur de la part du Concile.
Comment peuvent-ils à la fois affirmer et nier qu’un pape puisse être jugé ?
La réponse se trouve dans une distinction entre deux formes de jugements juridiques.
Deux formes de jugement – discrétionnaire et coercitif
Dans De Concilio, saint Robert Bellarmin distingue les deux pouvoirs nécessaires au jugement (discrétionnaire et coercitif) et les deux modes de jugement juridique. Il commence par expliquer qu’un « jugement parfait » requiert les deux pouvoirs :
1) Premièrement, le pouvoir [discrétionnaire] de discuter de l’affaire et de discerner ou de juger ce qui doit être fait.
2) Deuxièmement, le pouvoir [coercitif] de contraindre celui qui manque à obéir au jugement qui lui est imposé.
Dans le for ecclésiastique, ces deux pouvoirs (discrétionnaire et coercitif) correspondent aux deux facettes des « clés » (savoir et pouvoir) et sont reçus avec juridiction.
Les membres de l’épiscopat jouissent de ces deux pouvoirs en vertu de leur fonction : le pouvoir discrétionnaire est le pouvoir d’enquêter sur une affaire et de rendre un verdict ; le pouvoir coercitif est le pouvoir de lier et de délier (par exemple, de retenir et d’absoudre les péchés dans le sacrement de Pénitence), ou de contraindre, de punir ou d’imposer une sentence coercitive (c’est-à-dire une censure ecclésiastique).
Saint Robert Bellarmin explique qu’un juge proprement dit possède les deux pouvoirs.
Un arbitre, en revanche, n’a que le pouvoir discrétionnaire. Un arbitre a l’autorité légale d’examiner les faits d’une affaire, de parvenir à un jugement et de décider ce qui doit être fait, mais il n’a pas le pouvoir coercitif nécessaire pour imposer la sentence ou punir la partie ‘suspectée’.
Le jugement d’un arbitre est dit discrétionnaire. Le « jugement parfait » d’un véritable juge est appelé jugement coactif (les deux pouvoirs agissant) ou coercitif.
Dans le cas d’un pape hérétique, l’Église (c’est-à-dire les cardinaux ou les évêques réunis en concile) a le « pouvoir de discuter de l’affaire » et de « discerner » si les accusations d’hérésie portées contre le pape sont vraies ou fausses (jugement discrétionnaire).
Ce premier jugement (antécédent) de l’Église, qui évalue les preuves et vérifie les faits, n’est pas coercitif et n’exerce aucune autorité juridictionnelle sur le pape. Il s’agit uniquement de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.
Il peut être comparé à celui d’un jury qui juge les faits d’une affaire ou, comme le dit saint Robert Bellarmin, à celui d’un arbitre d’une affaire, car ni un jury ni un arbitre n’ont le pouvoir coercitif de contraindre.
Ce n’est qu’une fois que le pape est déchu de son pontificat (après que sa juridiction lui a été « retirée par Dieu » -par l’intermédiaire des hommes) qu’il peut être jugé avec un jugement coactif (coercitif) – c’est-à-dire jugé et puni – puisqu’il n’est alors plus pape.
Ce second jugement (conséquent) est celui d’un juge proprement dit, puisque seul un juge peut contraindre et punir.
En vertu du droit divin, le pape ne peut faire l’objet d’un jugement coercitif, mais seulement d’un jugement discrétionnaire
L’immunité de jugement du pape, qui fait partie de la loi divine, comporte deux aspects :
1) premièrement, elle empêche que les décisions judiciaires définitives du pape fassent l’objet d’un appel devant un concile (Cf. Pastor Aeternus, Denz. 3063) ;
2) deuxièmement, elle exempte le pape du pouvoir coercitif de l’Église (ou de l’État).
Par conséquent, un pape ne peut jamais être légitimement soumis à un jugement judiciaire coercitif, même s’il le voulait. Mais la loi divine n’empêche pas qu’un pape puisse être jugé par un jugement discrétionnaire.
Bellarmin le prouve par les cas historiques du pape Léon IV (‘Nos si incompetenter’ 2, q.7), Sixte III (‘Mandasti’ 2, quaest. 5), Léon III (ch. ‘Auditum’) et de plusieurs autres papes, qui, accusés de divers crimes, se sont soumis au jugement discrétionnaire des conciles ou des empereurs.
Le pape Léon IV a même accepté à l’avance d’obéir à la décision qui serait rendue. Bellarmin a déclaré que dans un tel cas (accepter à l’avance d’obéir à la décision), le pape est moralement tenu d’obéir à la décision, mais qu’il ne peut pas être légalement contraint de le faire.
En réponse à ceux qui soutenaient qu’un pape pouvait être jugé par un jugement coactif, et faisaient appel au cas de Léon IV pour le prouver, Bellarmin a expliqué que « Léon s’est seulement soumis au jugement discrétionnaire de l’empereur, et non à un jugement coactif ». (De Romano Pontifice, lib. 2, ch. 29).
Normalement, les faits ou les accusations concernant un pape ne peuvent faire l’objet d’un jugement discrétionnaire par les évêques lors d’un concile que si le pape s’y soumet volontairement, mais il y a une exception dans le cas d’un pape hérétique, ou d’un schisme dû à plusieurs papes douteux.
Saint Robert Bellarmin enseigne que le simple soupçon d’hérésie, ou une accusation d’infidélité contre un pape, justifie que les évêques ou les cardinaux se réunissent en concile – même sans le consentement du pape – pour examiner les faits et rendre un verdict.
Suarez explique que le droit d’examiner le cas d’un pape hérétique a été concédé à l’Église par Dieu comme une défense juste et nécessaire dans le cas d’un pape hérétique :
« Bien qu’en cas d’hérésie il puisse être déposé, il ne l’est pas en vérité par un homme, mais par Dieu lui-même, après la déclaration d’un Concile légitime.
Et de cette façon, il n’y a pas de soumission volontaire de la personne du Pontife, ni même de contrainte involontaire tant qu’il est Pontife, mais seulement la connaissance et l’examen de la cause [pouvoir discrétionnaire], que lui-même dans ce cas ne peut pas justement empêcher, parce qu’elle a été concédée par Dieu comme une défense juste et nécessaire. »
Seul pouvoir nécessaire pour enquêter légalement sur des faits ou des accusations et parvenir à un jugement légal est le pouvoir discrétionnaire (clavis scientiae).
Comme l’explique saint Thomas d’Aquin, le pouvoir discrétionnaire est « l’autorité de juger ». (Suppl, q. 17, a. 3, ad 2) – non pas le pouvoir d’imposer une peine coercitive ou de punir (clavis potentiae).
Mais simplement le pouvoir d’enquêter légitimement sur une affaire et de rendre une décision".
Fin de la première partie.