Mgr Athanasius Schneider sur Fiducia Supplicans : « Une dérision de la loi naturelle et révélée de Dieu »
Diane Montagna (DM) : Votre Excellence, quelle a été votre première impression de Fiducia Supplicans sur le sens pastoral des bénédictions, émise le 18 décembre par le préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, le Cardinal Manuel Fernández, et approuvée par le Pape Francis?
Athanase Schneider (AS) : Ce document et son utilisation impudente de paroles pieuses m'ont paru comme un artifice du pharisaïsme et une dérision de la loi naturelle et révélée de Dieu. En appliquant Fiducia Supplicans, saint Jean-Baptiste aurait pu conférer une « bénédiction spontanée » et « pastorale » à l'union irrégulière d'Hérode et d'Hérodiade.
(DM) : Comme l'a noté Vatican News dans son rapport initial, c'est la première fois que la Congrégation (aujourd'hui Dicastère) pour la doctrine de la foi publie une déclaration depuis que le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la CDF, a publié Dominus Iesus. Quel poids ou quelle autorité a un tel document ?
(AS) : Ce document sape clairement, quoique astucieusement, la loi naturelle et révélée de Dieu concernant le mariage ainsi que le sens et l'exercice de la sexualité humaine. Il ne peut donc pas être l’expression du magistère authentique de l’Église et perd toute autorité contraignante. Car le Magistère authentique « n’est pas au-dessus de la parole de Dieu, mais il la sert, en enseignant seulement ce qui lui a été transmis, en l’écoutant avec dévotion, en le gardant scrupuleusement et en l’expliquant fidèlement » (Concile Vatican II, Dei Verbum, 10).
(DM) : Est-il vrai, comme certains l’ont suggéré, que Fiducia Supplicans autorise uniquement la bénédiction des individus en situation irrégulière, et non la bénédiction de la situation irrégulière elle-même, et qu’en réalité « rien n’a changé » ?
(AS) : C’est du pur sophisme, un manque d’honnêteté intellectuelle ou ignorance. L’objectif du document, comme indiqué explicitement au début, est de permettre « la possibilité de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe ». Il n’est pas nécessaire d’émettre un document magisterial spécial pour bénir une personne qui se repent réellement de son infidélité adultère (situation irrégulière) ou de son mode de vie homosexuel.
L’Église publierait-elle une déclaration autorisant les prêtres à bénir publiquement les syndicats du crime organisé, en faisant abstraction de leurs activités criminelles, afin de valoriser « tout ce qui est vrai, bon et humainement valable » dans la vie de leurs membres ? Fiducia Supplicans est une grande tromperie et va à l’encontre de la logique fondamentale. On peut à juste titre appliquer à ses affirmations les mots que saint Athanase utilisait pour décrire les évêques semi-ariens de son temps : ils « s’enveloppent constamment dans des ambiguïtés et des interprétations trompeuses » (Ep. ad Episcopos Aegypti et Libyae).
(DM) : Comment pensez-vous que les évêques diocésains devraient répondre a Fiducia Supplicans ?
(AS) : Les vrais évêques catholiques ne peuvent répondre que d'une seule manière : en rejetant avec détermination la déclaration, car elle permet aux prêtres d'accomplir un acte intrinsèquement immoral en invoquant le saint nom de Dieu – par une bénédiction – sur une situation objectivement pécheresse connue du public. La réponse rapide des évêques, qui ont interdit à leurs prêtres de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe (par exemple l'archevêque de l´archidiocèse de Sainte-Marie d'Astana, au Kazakhstan, le chef de l'Église gréco-catholique ukrainienne, les conférences épiscopales de Pologne, Malawi, Zambie, Ghana, Cameroun et Zimbabwe) a été une source de grande consolation et d'encouragement pour de nombreux prêtres et fidèles catholiques, tout comme la lettre que le Cardinal Président du Symposium des Conférences Episcopales d'Afrique et de Madagascar (SCEAM) a envoyée aux présidents de toutes les conférences épiscopales locales affirmant que « l'ambiguïté de cette déclaration… se prête à de nombreuses interprétations et manipulations ».
Je considère la déclaration des évêques du Cameroun, qui rejette Fiducia Supplicans et « interdit formellement » toute bénédiction des couples de même sexe dans leurs diocèses, comme l'une des plus belles déclarations faites jusqu'à présent.
Chaque évêque d'aujourd'hui devrait garder à l'esprit les paroles de saint Grégoire de Nazianze, qui a également vécu à une époque de confusion doctrinale presque mondiale dans l'Église : « Il n'y a rien à craindre autant que de craindre autre chose que Dieu et donc de commettre une trahison de le service de la vérité. (Or. 6,20) et « Nous ne maintenons pas la paix au détriment de la vérité, en faisant des concessions pour acquérir une réputation de tolérance » (Or. 42,13).
(DM) : Que doit faire un prêtre si un couple de même sexe dans sa paroisse, ou dans un autre contexte, demande une « bénédiction », et quelle serait la réponse appropriée ?
(AS) : Si un couple de même sexe demande une « bénédiction » à un prêtre, il doit leur expliquer gentiment et clairement pourquoi il ne peut pas le faire et les exhorter avec charité à changer leur style de vie et à mettre fin à l'union pécheresse, qui offense l'ordre de création de Dieu, est une cause de scandale public, promeut l'idéologie du genre athée et les met dans une situation proche et constante de péché. Il pourrait proposer de rencontrer chacun d'eux séparément et, au cours de cette rencontre, il pourrait certainement bénir la personne, à condition qu'elle soit prête à entreprendre sérieusement un chemin de conversion. Il pourrait aussi leur rappeler ces paroles de Notre-Seigneur : « Que profitera-t-il à un homme s’il gagne le monde entier et perd son âme ? » (Mt 16:26).
(DM) : Et si un évêque exigeait que les prêtres de son diocèse accomplissent une telle « bénédiction » ?
(AS) : Un jour, saint Hilaire de Poitiers, qui vivait à une époque de grands bouleversements et de confusion dans l'Église, prononça ces paroles inspirantes : « Puissé-je être toujours un exilé, si seulement la vérité recommence à être prêchée ! » (De syn., 78). Un prêtre ne peut jamais bénir un couple de même sexe ; cela est contraire à la loi divine, et il doit obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes (cfr. Actes 5 :29) – dans ce cas, même au pape ou à son évêque. Un prêtre doit être prêt à tout perdre plutôt que de commettre un acte qui offense Dieu, comme bénir un couple dans une union objectivement pécheresse.
Il est encourageant de voir que des groupes de prêtres, comme par ex. la Confrérie britannique du clergé catholique ou le Supérieur provincial américain des Pères Mariaux de l'Immaculée Conception, ont publiquement répondu à la déclaration en affirmant que de telles « bénédictions » conduiraient inévitablement au scandale et étaient « pastoralement et pratiquement inadmissibles ».
(DM) : Que devraient faire les parents si leur fils ou leur fille leur demandait d'assister à une « bénédiction » avec leur « partenaire » ou menaçait de mettre fin à toute relation avec eux s'ils n'acceptent pas la « bénédiction » ?
(AS) : Il n’est jamais moralement licite de participer à une action objectivement mauvaise. Même si le fils ou la fille menace de couper tout contact avec ses parents, ils ne peuvent pas céder, mais doivent se rappeler les paroles du Christ : « Celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi » (Mt 10 : 37).
(DM) : La section III de Fiducia Supplicans cite Amoris Laetitia n. 304, qui a jeté les bases de l'AL 305, contenant la note controversée 351 pour ouvrir la porte à la Sainte Communion aux catholiques divorcés dans les secondes unions « irrégulières ». Quelle relation voyez-vous entre cette déclaration et Amoris Laetitia ? Est-ce simplement la conséquence naturelle ?
(AS) : Oui, c'est une conséquence naturelle du principe de relativisme moral posé dans Amoris Laetitia sous couvert de « discernement ». Amoris Laetitia, n. 304 réduit à tort les lois toujours valides de Dieu (données par la loi naturelle et la révélation divine) à de simples règles et normes, comme des lois ou « idéaux » humains changeants. En représentant un commandement divin, par ex. le Sixième Commandement, en tant qu’« idéal », Amoris Laetitia abolit de facto la validité absolue des commandements de Dieu. Amoris Laetitia peut citer saint Thomas d'Aquin, mais il le fait hors de son contexte et d'une manière qui contredit son enseignement sur la validité absolue du sixième commandement.
(DM) : Fiducia Supplicans (citant Amoris Laetitia n. 304) conclut en déclarant : « Ce qui a été dit dans cette Déclaration concernant les bénédictions des couples de même sexe est suffisant pour guider le discernement prudent et paternel des ministres ordonnés à cet égard. Ainsi, au-delà des conseils fournis ci-dessus, aucune autre réponse ne devrait être attendue sur les moyens possibles de réglementer les détails ou les aspects pratiques concernant les bénédictions de ce type ». Assurément, le pape François et le préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi ne peuvent pas imaginer qu’il n’y aura pas de nouveaux débats – ni de oppositions. Qu'en pensez-vous ?
(AS) : Fiducia Supplicans est une façade de sophisme, emploie un langage trompeur et offre un espace considérable pour de multiples interprétations et applications. Comme peut le constater toute personne attentive à la situation, le débat ne fait que commencer. Mais peut-être que créer un état de débat permanent, d’incertitude généralisée et d’anarchie doctrinale et pratique était précisément son objectif. La description que fait saint Grégoire de Nazianze du style et de la manière de nombreux évêques de son époque pourrait s'appliquer ici à juste titre : « Ils sont ambigus dans leur foi, s'en tenant à l'époque plutôt qu'aux lois de Dieu, se balançant d'avant en arrière dans leur discours comme le flux et le reflux des marées » (Carm. 2, 12).
(DM) : Quel effet pensez-vous que cette déclaration va avoir sur l’Église et la société en général ?
(AS) : La confusion doctrinale et morale, voire l'anarchie, qui règne dans la société depuis la Révolution française, a désormais pénétré la vie de l'Église. Aujourd’hui, des hommes d’Église influents s’efforcent d’adapter la doctrine et la pratique de l’Église à l’esprit du temps et aux caprices de la puissante élite politique. Ces paroles de saint Grégoire de Nazianze sont remarquablement actuelles : « Nous voyons la douce et belle source de notre foi ancienne malheureusement obscurcie par des affluents salés, parce que sont entrées dans l'Église des personnes de la foi vacillante qui pensent d'une manière qui convient aux puissants du monde » (Carm. 2, 11).
(DM) : Quelle mesure, le cas échéant, suggérez-vous aux cardinaux de prendre en réponse à la Déclaration ?
(AS) : La principale obligation du Collège des Cardinaux est de conseiller le Pontife Romain. L’approbation publique par le Pape de la bénédiction des couples en situation irrégulière et des couples de même sexe cause un grave préjudice à l’Église, au bien spirituel et au salut éternel des âmes. En conséquence, les cardinaux sont obligés (également pour le salut de l’âme du pape François) de l’exhorter fraternellement à révoquer Fiducia Supplicans. Une telle admonestation doit d’abord être faite en privé, et si elle échoue, elle doit être faite publiquement et sans délai. Les cardinaux ne devraient pas avoir peur de le faire, mais plutôt craindre de le négliger. Entre-temps, il convient de féliciter l'ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Gerhard Ludwig Müller, pour sa réponse claire, le 21 décembre 2023, à Fiducia Supplicans, dans laquelle il décrit la bénédiction des couples dans les situations irrégulières et les couples de même sexe comme un « acte sacrilège et blasphématoire ».
(DM) : Quel effet pensez-vous que cette déclaration pourrait avoir sur le prochain conclave ?
(AS) : Considérant que le pape François a en pratique entamé un processus d'abolition du sixième commandement de Dieu au moyen d'un document profondément astucieux déguisé en paroles pieuses, un nombre considérable de cardinaux, qui conservent encore un sens fondamental de la foi surnaturelle dans la révélation de Dieu et de la validité pérenne de ses commandements éviteraient très probablement, lors du prochain conclave, d'élire un pape qui, en tant que cardinal, soutiendrait d'une manière ou d'une autre l'agenda LGBT.
(DM) : Que répondriez-vous au clergé et aux fidèles catholiques qui déclarent ne pas vouloir être en communion avec un Pape qui approuvait un tel document ?
(AS) : Le Pape reste dans sa charge, même s'il permet ou affirme des choses qui nuisent à la Foi ou qui sont ambiguës ou erronées. Même si un pape prononçait une hérésie dans son magistère quotidien, c'est-à-dire en dehors des déclarations ex-cathedra et en dehors d'un enseignement formel définitif, il ne perdrait pas la papauté. Il y a eu de rares cas dans l’histoire de l’Église où des papes ont fait cela (par exemple le pape Honorius Ier et le pape Jean XXII) sans perdre leur office. Leur pontificat n'a pas non plus été déclaré invalide de leur vivant ou après leur mort. L'Église restera toujours entre les mains toutes-puissantes du Christ, qui ne permettra pas que les portes de l'enfer prévalent contre elle, car il a fondé son Église sur le rocher de Pierre. L’Église, également à cet égard, est divine : elle peut supporter de tels papes.
(DM) : Votre Excellence, avez-vous quelque chose à ajouter ?
(AS) : Dieu permet que ces temps de grande crise et de confusion purifient notre foi et notre espérance inébranlable en Lui. Dans de telles circonstances, nous devons éviter les solutions trop humaines, souvent motivées par la colère et la frustration. Nous devons résister à la tentation d'adopter l'attitude suivante : « Maintenant, nous allons prendre la situation en main et résoudre nous-mêmes le problème de ce pontificat ». De telles attitudes sont mondaines et manquent de perspective surnaturelle. Nous devons nous laisser guider par les paroles et l’exemple des grands Pères de l’Église qui, comme nous, ont vécu des temps troublés. Que les paroles suivantes de saint Hilaire nous apportent du réconfort : « À la quatrième veille de la nuit, le Seigneur viendra et il trouvera l'Église épuisée et secouée par l'esprit de l'Antéchrist et par tous les troubles du monde. Mais le bon Dieu leur parlera aussitôt, chassera leur peur et dira : « C'est moi », bannissant avec sa venue leur crainte d'un certain naufrage » (In Math. 14, 14).